ÉDITO

saison 23-24

Depuis dix ans…
Le Nouvel Olympia est devenu T°.
Le Centre dramatique régional a obtenu la labellisation nationale en 2017.
Le festival WET° programmé par les générations successives du Jeune Théâtre en Région Centre – Val de Loire s’est affirmé comme un haut-lieu de la jeune création contemporaine.
Plusieurs artistes que nous avons associé·e·s et accompagné·e·s dans leurs premiers pas arpentent désormais les plus grandes scènes françaises et internationales.
J’ai eu le plaisir de créer à Tours neuf spectacles et un opéra qui ont rayonné en France et jusqu’à Singapour.
J’ai eu le bonheur de travailler avec une équipe engagée, rigoureuse et sensible, qui a rendu possible l’impossible, au prix d’une détermination remarquable.

 

La saison 2023/24 marquera une transition, un passage de relai à la direction du Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours.

 

Un nouveau cycle va s’amorcer, riche des strates successives de l’histoire de ce lieu, et fécond de nouveaux possibles qui viendront ouvrir des brèches dans l’impossible. Les défis écologiques, géopolitiques, économiques et sociaux sont plus cruciaux que jamais, et paraissent toujours plus insurmontables. Mais en rendant l’invisible visible – et parfois même l’impossible possible – l’art bouscule et inquiète un ordre du monde qui se donne pour inéluctable. Il forge des outils sensibles et intellectuels pour envisager un avenir nécessairement transformé.

 

« Créer des foyers pour l’imagination est l’acte le plus politique, le plus dérangeant que l’on puisse imaginer » disait l’auteur allemand Heiner Müller au tournant du XXe siècle.

Je créerai une de ses pièces – Quartett – pour ouvrir la saison 23/24. Après avoir vampirisé les grands mythes grecs, Heiner Müller s’empare des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour porter à incandescence la confrontation du fameux couple Valmont-Merteuil. Il engage les deux amants dans une comédie de l’artifice et de l’illusion pour les mener jusqu’à la tragédie impitoyable du pouvoir et du désir.
Deux immenses acteur·rice·s – Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey – donneront chair et sens à ce texte, accompagné·e·s sur scène par le musicien Alexandre Meyer.

Autre « foyer pour l’imagination », Ce qu’il faut dire de l’autrice afropéenne Leonora Miano qui déplie les impensés de la période coloniale et nous confronte subtilement à nos représentations du « noir » et du « blanc ». Stanislas Nordey signe cette fois la mise en scène de ce spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg et qui revient d’une tournée en Afrique.
Avec OISEAU, Anna Nozière nous incite à franchir allègrement les frontières établies communément entre les morts et les vivants. Un groupe d’enfants nous sert de guide dans ces allers-retours et ouvre nos yeux d’adultes à des réalités parallèles, merveilleuses et tendres.
Je voulais terminer l’année avec Boule à neige de Mohamed El Khatib. Cet ex-artiste associé au T° s’empare cette fois d’un objet incontournable de la culture populaire, et des témoignages saisissants de celles et ceux qui le collectionnent partout dans le monde. L’historien Patrick Boucheron s’engage avec lui dans une conversation à bâtons rompus, aussi érudite que réjouissante.
Tiago Rodrigues est l’un des plus grands auteurs-metteurs en scène contemporains. Après avoir dirigé le Théâtre National de Lisbonne, il est désormais à la tête du Festival d’Avignon. Choeur des amants est un spectacle épuré, porté par deux grands interprètes qui nous parlent en choeur des joies et des peines du coeur.

Après 2 ou 3 choses que je sais de vous présenté au WET° 2, puis _jeanne_dark_ accueilli en mai 2021, Marion Siéfert revient au T° avec Daddy. Elle y poursuit son exploration des zones troubles et parfois dangereuses dans lesquelles nous immergent les univers numériques.
Le collectif orléanais Mind The Gap avait lui aussi été accueilli lors de la première édition du festival WET. Nous retrouverons avec plaisir cette équipe qui entremêle rire et frissons dans J’aurais mieux fait d’utiliser une hache.
Un très grand classique viendra ponctuer la saison. Phèdre, orchestré par Matthieu Cruciani qui revivifiera ce chef-d’oeuvre en entrelaçant les alexandrins de Racine et la musique de la compositrice et performeuse Carla Pallone. 
Un autre collectif, tourangeau cette fois – NightShot – viendra à nouveau fouler le plateau du T°. Il s’attaque au roman prémonitoire d’Orwell, 1984, pour une adaptation qui hybride le théâtre et la musique électro de Romane Santarelli : JULIA.

Nous accueillerons avec le CCNT la grande Maguy Marin pour sa prochaine création qui demeure mystérieuse (à ce jour le titre n’est pas encore choisi), mais promet encore une fois une épiphanie jouée et dansée de nos questionnements contemporains. 
Et puis, ce sera le retour du WET° ! Huitième édition de ce festival de la jeune création programmé par de jeunes créateurs.
Par un heureux hasard, l’ex JTRC Théophile Dubus qui avait marqué le WET 6 avec son spectacle Variation (copies !) prolongera la saison avec sa dernière création : Fin (Faim). Un cabaret tout public pour ogres et ogresses.
Puis nous accueillerons l’adaptation théâtrale du chef-d’oeuvre de Stendhal : Le Rouge et le Noir. Nous pouvons compter sur Catherine Marnas pour faire résonner les harmoniques contemporaines de Julien Sorel.
La Tendresse est un spectacle qui interroge ce sentiment longtemps opposé à la virilité, y compris pour les dernières générations. Sous la houlette de Julie Berès (Désobéir) un groupe de huit jeunes gens s’empare joyeusement de la question.
Camille Dagen et Emma Depoid, artistes associées au T°, viendront clore cette programmation avec Les Forces vives. Elles placeront les évolutions fondamentales de notre époque dans le prisme de la pensée vivifiante et visionnaire de Simone de Beauvoir : intelligence et émotion seront, à n’en point douter, au rendez-vous.
Et enfin, comme chaque année, Thomas Lebrun et le CCNT proposeront une étape au T° de leur festival Tours d’Horizons.

 

 

Voilà donc une ultime déambulation à travers les spectacles d’artistes qu’il m’a tenu à coeur de vous présenter, saison après saison, parce qu’ils représentaient à mes yeux ce qui s’invente ici et maintenant de plus fort et de plus beau. Et parce que, comme le disait Heiner Müller déjà cité, « le beau signifie la fin possible de l’effroi ».
Saison après saison, vous m’avez fait confiance et nous avons cheminé ensemble sur le fil d’une exigence partagée, parfois polémique, souvent joyeuse ; toujours généreuse.

Sans démagogie, je tiens à vous remercier du fond du coeur pour votre curiosité, votre disponibilité et votre audace.
Toutes les équipes accueillies sur le plateau du T° depuis 10 ans m’ont fait ce retour unanime : vous êtes un public formidable !

 

Jacques Vincey
2 juin 2023