JOURNAL DE BORD D'UNE CREATION

#3 Interview de Marguerite Bordat, scénographe.

 

 

Peux-tu définir ton travail de scénographe et nous parler de ton parcours ?

 

Marguerite Bordat : Le métier de scénographe  tel qu’appris à l’école est de concevoir, d’inventer les dispositifs scéniques, les décors, pour le théâtre, le spectacle vivant ou les expositions. Mais on peut pratiquer ce métier de différentes façons.

Mon travail de scénographe est changeant. Il évolue beaucoup selon les personnes avec lesquelles je travaille, le lieu, le temps. C’est un travail qui demande beaucoup de capacité à s’adapter, et à réinventer toujours la façon de travailler.

Mon parcours est assez simple. J’ai fait des écoles d’arts plastiques et l’École de la rue Blanche, qui est aujourd’hui l’ENSATT (École Nationale Supérieure Arts et Techniques du Théâtre) à Lyon, en section scénographie. Avant, j’avais fait des arts appliqués, notamment du stylisme. J’ai cette polyvalence qui m’a permis de travailler très tôt. C’est difficile de travailler en tant que jeune scénographe. Je ne suis vraiment scénographe que depuis 5 / 6 ans. Avant, c’était surtout en tant que costumière que je trouvais du travail. J’ai eu la grande chance de faire de belles rencontres très tôt. La rencontre avec Joël Pommerat m’a permis d’en être là aujourd’hui. J’étais encore à l’ENSATT lorsque je l’ai rencontré. Et j’ai travaillé avec lui pendant 10 ans, en tant que bricoleuse, « inventeuse », scénographe, costumière, vidéaste… Nous étions une compagnie avec peu d’argent, donc il fallait être très polyvalent. Et c’est à ce moment-là que j’ai inventé ma manière de travailler. C’est une manière où il faut sans cesse réinventer sa fonction.

 

Il y a des metteurs en scène avec lesquels tu travailles souvent comme Pierre Meunier ou Bérangère Vantusso. Avec Alexis Armengol, il s’agit d’une première collaboration. Qu’est-ce-que ça change ?

 

M. B. : Ça change tout. J’envisage les collaborations comme des aventures, des amitiés. A chaque nouvel ami, on apprend à le connaître, on réinvente un langage. J’essaye de me mettre à la disposition de cette rencontre, de comprendre qui il est, ce qu’il veut, et de me faire comprendre également. C’est comme un dialogue.

Ça m’intéresse beaucoup les premières rencontres, mais c’est plus difficile car nous n’avons pas de références communes, de parcours commun. Ces premières collaborations, je ne peux pas les multiplier, une par an c’est très bien, car ça demande beaucoup d’attention, d’énergie. Mais c’est très stimulant. Et quand ça se passe bien, ce qui est le cas avec Alexis, c’est réjouissant.

 

Comment avez-vous abordé le travail scénographique de A ce projet personne ne s’opposait ?

 

M. B. : En scénographie, nous sommes à la fois très libres et nous avons en même temps énormément de contraintes. Les contraintes sont souvent liées à l’aspect financier parce qu’un décor coûte de l’argent. Pour le projet d’Alexis, le théâtre de La Colline proposait une collaboration, ils nous ont permis de construire le décor dans leurs ateliers. C’était une vraie chance et un apport financier considérable. Ce qui complexifie le travail, c’est que cela oblige à proposer un projet très en amont ; ils ont besoin de plans et de maquettes pratiquement un an avant de commencer la création. Alexis et moi, nous connaissions cette deadline, nous nous sommes donc adaptés à cette contrainte. J’ai commencé à travailler alors qu’il n’y avait pas encore de texte ; il y avait la thématique de Prométhée et la recherche sur le monde du travail. J’avais très peu d’indications, mais ça ne m’effraie pas car, dans ma démarche de scénographe, j’aime proposer non pas des décors, mais des outils. Quand je conçois un dispositif, je ne pense pas forcément à la finalité, ni au spectacle, je pense au travail, au fait que pendant des mois des acteurs vont inventer et créer. Donc j’imagine plutôt des outils ludiques, inspirants pour les metteurs en scène, pour les acteurs, pour les éclairagistes… Ce n’est pas illustratif, je ne cherche pas non plus à faire du « joli », je cherche à faire des outils qui ouvrent au maximum l’univers des gens.

 

# 2 Entretien avec les comédiens de A ce projet personne ne s’opposait

 

 

Pierre-François Doireau : Force et pouvoir

Vanille Fiaux : Pandore

Céline Langlois : Io

Victor de Oliveira : Prométhée

Laurent Seron-Keller : Héphaïstos

 

L’écriture de la pièce continue en ce moment même puisqu’il s’agit d’une écriture au plateau. Qu’est-ce que cela implique en tant que comédien ?

 

L. S-K. : De ne pas paniquer [rires] Plus sérieusement, c’est de rester disponible jusqu’au bout, parce que les propositions arrivent au fur et à mesure, du metteur en scène ou de l’auteur. Il faut à la fois qu’on fasse des tentatives, qu’on essaie des choses, qu’on en intègre certaines, qu’on en laisse d’autres. Et que l’on recommence ce processus-là le lendemain, jusqu’à ficeler, ou jusqu’à avoir toutes les pièces du puzzle. Pour le moment, il en manque certaines.

 

Quel est votre réplique préférée ?

 

P-F. D. : Une réplique de Io que je trouve très belle : La beauté des caresses, tu parles !

V. de O. : Une autre réplique de Io : Prendre la mer, l’expression a perdu de son charme.

V. F. : Moi, ce serait une réplique de Force et pouvoir : On va t’évacuer toute cette bile.

L. S-K. : Il y a une phrase que j’aime bien. Je ne sais pas pourquoi ; ça a sans doute un pouvoir évocateur. C’est une réplique de Pandore : Si je la prends, si je la retourne, un peu la secoue pour voir, et bien je ne sens rien, je n’entends rien.

C. L. : Combien la traversée ?

 

Quel est le moment du spectacle qui vous émeut ou qui vous amuse le plus ?

 

V. de O. : Nous n’avons pas encore fini le spectacle.

 

Cela peut aussi être des moments qui nourrissent le spectacle, sans que ces moments se retrouvent finalement dans le spectacle.

 

P-F. D. : Ce qui m’émeut le plus fait partie du travail. Comme nous essayons d’instaurer des codes de jeu, comme nous cherchons, ce sont les moments où j’ai l’impression de vraiment voir les gens, les personnalités qui sont avec moi sur le plateau. Ce sont les moments d’abandon, même un peu de perdition. Ces petits moments de mystère qui appartiennent à chacun. Nous avons la chance de les voir pendant le travail, et je crois qu’ils vont rester.

C. L. : Oui, ce sont des moments que nous avons lorsque nous cherchons ensemble. Et il y a une perte qui est quasiment commune et complètement personnelle. Je suis d’accord avec Pierre-François, c’est ce qui touche le plus dans le travail.

L. S-K. : Le personnage de Force et pouvoir me fait rire. Dans le traitement qui en a été fait aussi. Il est explosif, au-delà de ce qu’on pourrait projeter tout de suite. Ce que j’aime beaucoup, c’est que c’est toujours un cran au-dessus de ce qu’on attend. Ça me fait beaucoup rire. Ça permet d’aller dans des excès qui touchent parfois l’absurde.

C. L. : C’est très lié à des moments, et c’est difficile d’en parler sans révéler des choses. Hier par exemple, Vanille (Pandore) fait une arrivée qui est pour moi irrésistible. J’ai même perdu mes moyens. Ça m’a fait beaucoup rire. Nous ne savons pas si ce passage va rester ou pas, mais l’essentiel est de le traverser.

 

Les spectateurs de A ce projet personne ne s’opposait sont invités dans le spectacle à un rassemblement pour changer le monde. Vous, si vous aviez une chose à faire pour sauver le monde, quelle serait-elle ?

 

 

L. S-K. : Pour ma part, ce serait d’être un peu moins égoïste. Ça irait chercher par là. Une forme d’ouverture un peu plus généreuse, au lieu de se faire avoir par une espèce de repli, qui n’est pas forcément volontaire mais qu’on constate avec le recul. Ce n’est pas une action précise, mais ce serait un mouvement d’ouverture vers les autres.

P-F. D. : Ce n’est pas tant sauver le monde que le réinventer.

V. de O. : Nous n’avons pas vraiment de réponse…

V. F. : Ce serait peut-être même de poser plus de questions. Pour sauver le monde, il faudrait peut-être se poser plus de questions.

C. L. : Et commencer petit à petit. Ce n’est pas un grand geste que nous pourrions faire ou une pensée que l’on peut développer comme ça qui va sauver le monde. C’est peut-être plus quotidien.

 

Entretien réalisé le 16/09/15

# 1 ENTRETIEN AVEC ALEXIS ARMENGOL ET MARC BLANCHET

 

 

Alexis Armengol est metteur en scène et co-auteur de A ce projet personne ne s’opposait. Fondateur de la compagnie Théâtre à cru en 1999, il est artiste associé au Centre dramatique régional de Tours pour deux saisons.

Marc Blanchet est auteur et photographe. Il co-écrit la pièce A ce projet personne ne s’opposait.

 

 

Quel a été le point de départ de A ce projet personne ne s’opposait ?

 

Alexis Armengol : Il y en a toujours plusieurs dans une création. Pour ce spectacle, je me suis dit instinctivement : Prométhée a fait un don à l’humanité, celui de pouvoir se réaliser. Que faisons-nous aujourd’hui de ce don ?

Prométhée a volé le feu pour que l’humanité puisse s’élever au même niveau que les autres animaux. L’humanité avait moins d’aptitudes physiques, elle était plus fragile. Il s’est donc dit que ces hommes devaient survivre, vivre, se réaliser, et peut-être atteindre quelque chose de l’ordre de la divinité par l’art, la science, la technique. Mais il n’a pas eu le temps de voler la politique, dans le sens de ce qui permet de se servir avec sagesse de la technique, ou de vivre avec sagesse, c’est-à-dire de savoir vivre ensemble correctement.

Aujourd’hui, nous n’arrivons plus, ou toujours pas, à vivre correctement ensemble, avec solidarité.

C’est toujours compliqué de faire du théâtre avec l’actualité parce qu’on a toutes les chances de s’embourber. Le meilleur moyen me semblait être de faire un ricochet sur la mythologie. Cela permet de se rendre compte que ce qui nous préoccupe aujourd’hui est quelque chose de permanent.

Le point de départ est donc à la fois une intuition, qui a été nourrie par Prométhée enchaîné d’Eschyle, par la mythologie et par la collaboration avec Marc.

Cette nouvelle collaboration a pris plusieurs aspects. Le premier évidemment autour de l’écriture du texte : nous nous sommes demandés quel théâtre nous voulions faire, quel verbe, quelle prose. Mais nous échangeons également sur les sources d’inspirations, nous avons traversé pour cela Etienne de La Boétie, Henry David Thoreau et d’autres.

 

Jusqu’à présent, Alexis, tu travaillais seul à l’écriture de tes spectacles. Pour A ce projet personne ne s’opposait, tu as fait appel à Marc Blanchet. Est-ce que vous pouvez nous dire comment s’est passé ce travail ? Comment vous avez organisé l’écriture à deux ?

 

Marc Blanchet : Alexis m’a sollicité, c’est donc qu’il avait une vision à partager, même si elle était intuitive. Il fallait que je puisse y adhérer. Cela a été le cas, ce qui est essentiel, parce qu’ensuite c’est le moteur même de mon écriture, de mes  propositions. La source d’inspiration est la pièce d’Eschyle Prométhée enchaîné, mais c’est la source uniquement. Il fallait convoquer le mythe sans avoir une sorte d’obsession de l’actualisation, un peu factice, un peu appuyé, sans vouloir contextualiser de manière trop évidente en tout cas. Et en même temps, essayer d’inventer un objet théâtral  original.

Alexis fait un travail de composition. Il y a une écriture extérieure, la mienne, qui s’intègre parmi d’autres textes et qui utilise parfois les ressources du plateau, donc des interventions plus aléatoires. Je suis passé d’un stade où les interventions se faisaient un peu comme un librettiste avec un compositeur d’opéra à un stade où il faut penser sans cesse ensemble.

C’est pour cela que la première question que j’ai posée à Alexis, au-delà de cette entente, cette vision, était : « quel théâtre tu veux faire ? ». Je le connais déjà ce théâtre, mais je voulais qu’il le reformule pour qu’il y ait un propos qu’on essaye de tenir et sur lequel en permanence on revienne, chacun à notre manière. Chacun de notre côté nous avons de nouvelles interrogations. Et l’on revient l’un vers l’autre en se demandant si cela tient formellement, et si le propos défendu est entendu, visible, audible. C’est une vraie mise en tension de deux types d’écriture.

Le travail théâtral d’Alexis procède d’une écriture de plateau. Mais il avait également envie d’une écriture littéraire, ou en tout cas plus littéraire. Pour que ça puisse se charpenter, se cimenter autrement sur le plateau. 

 

Parmi les références, il y a les mythes (Prométhée, Pandore…), il y a des auteurs comme La Boétie, Thoreau… mais il y aussi des entretiens  qui ont été réalisés dans le milieu ouvrier, c’est ça ?

 

A.A. : C’était l’intention de départ, ça fait partie des choses qui, entre le moment de la conception et le début des répétitions, se modifient. Pour ces entretiens, j’étais parti sur l’idée du savoir-faire. Je m’étais collé au mythe : il y a une transmission du savoir-faire, de la technique, et je voulais entendre des récits d’expériences et différents points de vue sur l’état actuel de nos savoir-faire. Au fur et à mesure le propos s’est décalé de la question du savoir-faire à la question du travail.

Qu’est-ce que c’est que d’avoir un travail, un métier ? Est-ce que nous nous réalisons ? Les personnes que j’ai rencontrées ont élargi la pensée autour de la pièce.

Cette pièce est en deux mouvements, un premier très inspiré de la mythologie, de Prométhée, de sa résistance, sa rébellion et de Pandore… il ne faut pas oublier qu’il y a eu deux punitions. La punition directement infligée à Prométhée, enchaîné, torturé tous les jours ; l’autre c’est la boite de Pandore. Puisque Prométhée semble ne pas plier, on va foutre en l’air son humanité, le don. On a confié à Pandore une boîte, et on lui a demandé de ne pas l’ouvrir. Or comme avec toutes les interdictions, nous créons la tentation. Elle ouvre cette boîte, et tous les fléaux du monde se répandent sur l’humanité.

Mais il reste quelque chose dans la boîte, c’est l’espérance. Nous repartons de cette espérance pour le deuxième mouvement. C’est un sujet délicat. L’espoir est-il un fléau ? Est-ce qu’il crée une promesse qui, si elle est inachevée, nous plongera encore plus dans la noirceur ? Ou est-ce que c’est le moteur d’une action, d’une rébellion, d’une contestation, d’une imagination ?

En ce moment, nous sommes en train d’écrire ce deuxième mouvement sur la possibilité de se reconstruire, recommencer, réenvisager les choses. Et l’espoir sert à ça. Il sert à penser que tout est possible, tout est encore possible, tout est toujours possible. C’est peut-être d’ailleurs dans la réinvention permanente que se situe la possibilité d’une issue. A chaque fois qu’on a essayé de faire un système définitif, on s’est planté. Toujours recommencer, c’est à la fois épuisant et enthousiasmant.

 

 

Les thèmes de ce spectacle sont le pouvoir, l’anéantissement de l’humanité… Comment allez-vous traiter ces sujets, sans nous déprimer ?

 

A.A. : Je dirais que ce n’est pas tant les thèmes, que le point de départ. Il y a eu pendant des années des théâtres de liste, on énumère ce qui ne va pas. C’est important de le faire. Mais là, ce n’est pas notre idée. Ce n’est pas tant un théâtre du constat, c’est-à-dire un théâtre de la déprime, qu’un théâtre de l’élan de vie.

Et puis ce qui me touche est que les théâtres sont des lieux de rassemblement. Où est-ce qu’on peut se rassembler aujourd’hui ? Où est-ce qu’on peut prendre le temps ? Où est-ce qu’on peut penser, rêver ? C’est ça le sujet.

Pour moi, le théâtre est une fête, quelle que soit sa forme, l’émotion ou le sens qu’il génère, c’est une fête. On célèbre quelque chose, au moins une possibilité de rassemblement. Dans la pièce, on se demande ce que nous pouvons faire de ce rassemblement. Nous rêvons, parce que le théâtre propose une sorte d’alternative de pensée. Nous sommes partis du principe que les gens ne sont pas là pour être des spectateurs (ce qui est la réalité évidemment), mais ils sont là parce qu’ils ont été invités à un premier rassemblement pour changer le monde. Et ça, c’est quand même très joyeux !

 

Le spectacle est encore en train de s’écrire, avec une écriture qu’on appelle écriture au plateau. Marc, en tant qu’auteur, quel est ton regard ? Qu’apportes-tu à cette écriture ?

 

M.B. : J’espère apporter une certaine réactivité. Si c’est une écriture de plateau, sa qualité principale, c’est qu’elle peut être tout le temps questionnée. Par exemple sur cette deuxième partie, on se demande comment cela peut se composer. Comme auteur, et un auteur qui n’est pas spécifiquement lié au théâtre, c’est une histoire de souplesse, de modification, de métamorphoses permanentes. Il y a un espace souverain, celui du livre, où on est seul. Là, c’est en liaison, en réaction avec une demande qui est celle d’Alexis, avec ce qui se passe sur le plateau, ce que la scénographie peut apporter d’elle-même. J’essaie d’amener une qualité d’écriture qui soit au service de cette vision-là.

 

A.A. : On a concrètement essayé plein de choses. Sur cette deuxième partie, la semaine dernière, il y a eu une heure d’improvisation. Cette improvisation a produit de la parole. Cette parole se transforme en texte. Ce texte, on va voir comment le retravailler, l’amplifier, le développer.

On a fait aussi d’autres expériences. Un exemple : Marc écrivait des textes pendant le jeu, textes projetés sur un mur, dont les comédiens pouvaient s’emparer. Nous avons fait plein de tentatives.

 

M.B. : Je crois qu’on a tout essayé pour qu’à un moment donné quelque chose prenne. Et qu’on soit nous-mêmes surpris par des directions différentes. Et avec des registres d’écriture différents : des choses plus énonciatives, plus de crudité, quelque chose de plus poétique, plus transformé… Ces registres nous permettent vraiment de passer du terrien au céleste, du sensible au pensé. Tout cela se compose au plateau avec une idée de fantaisie qui nous a guidée. Il y a la volonté de transmettre une énergie, une vision du monde qui aient la fraicheur d’un renouvellement aussi.

 

A.A. : Ça s’écrit aussi avec la musique, les interprètes… c’est ça l’écriture de plateau. Elle est collective, dans le sens où elle s’écrit à partir des corps, des impros, de la musique, de la scénographie, de l’écriture littéraire…

 

C’est la première fois, Alexis, que tu travailles avec Marc. Tu t’es également entouré de plusieurs autres nouveaux collaborateurs. Pourquoi cette envie de renouveau ?

 

A.A. : C’est une interrogation sur ma propre démarche théâtrale. On parlait d’évolution de société, mais ça commence par une évolution individuelle, et là en l’occurrence dans ma pratique artistique. Comment je continue d’avancer ? On crée un spectacle dans la continuité du travail de Théâtre à cru, mais ce qui m’excite c’est d’emprunter un chemin que je n’ai pas emprunté, et pour j’espère arriver dans un endroit inconnu.

Lorsque je travaille avec des scénographes que je connais bien, il y a des logiques de pensée, par rapport à l’accessoire, aux choses qui naissent du plateau. Marguerite Bordat, la scénographe du spectacle, a une culture différente de la mienne. Un des spectacles qui m’ont bouleversé, et qui est pour moi fondateur, s’appelle Le Tas de Pierre Meunier. Elle a travaillé sur ce spectacle. Elle continue d’ailleurs de travailler avec Pierre Meunier, ils ont dernièrement créé un spectacle qui va être accueilli au Théâtre Olympia Forbidden di sporgersi. Je l’ai vu cet été à Avignon. Ça m’a une nouvelle fois bouleversé, c’est un spectacle magnifique, très singulier, avec une vraie interrogation sur ce qu’est un objet, un décor, une scénographie...

 

La phrase complète dont est extrait le titre est tirée d’une réplique de Prométhée: Zeus voulut détruire l’humanité, et à ce projet personne ne s’opposait, sauf moi. Est-ce qu’à la manière de Flaubert, on peut dire que moi c’est toi Alexis, et que tu es finalement le sauveur de l’humanité.

 

A.A. : Je suis content que tu t’en rendes compte ! [rires] C’est vrai que j’aspire à une chose : sauver l’humanité ! Enfin, sauver mon humanité, ce serait déjà un point de départ.

 

M.B. : Il y a deux aspects dans Prométhée, il y a le don, né d’une désobéissance, et le désir de « créer » l’humanité. Le deuxième parfois exprimé, ou vécu, artistiquement de manière grandiloquente, obsédée, narcissique. On essaie de maintenir le premier aspect avec un Prométhée vraiment altruiste qui fait les choses à partir du don, et non pas à partir de la satisfaction de soi à travers le don. Même si un artiste peut être dans la fascination du don qu’il fait. Mais pour ce projet, à travers un travail collectif, on se préoccupe de l’humanité. Et on essaie de proposer quelque chose, parce que l’écriture comme la mise en scène, a la portée d’un geste universel. C’est une foi en l’humain. Cela peut paraître énorme de dire ça, mais je pense que justement c’est simple d’avoir à la fois ce désir et cette nécessité.