La vie du T°

horizons 111, les poèmes

1.
horizon

2.
l’horizon

3.
dire l’horizon

4.
ligne vierge droit devant

5.
épousant
la courbe du regard

6.
L’horizon – un point de chute.

7.
On lui tourne le dos : il demeure.

8.
Il parle notre langue
sans dire un mot.

9.
À notre image –
la bouche pleine
auprès du vide.

10.
L’horizon multiplie les directions.
Nos corps pèsent à distance.

11.
Élever notre verticalité
à travers son silence.
Quitte à le rompre.

12.
Débusquer en lui le jour
qui refuse d’être
à nos côtés.

13.
D’un coup étranger.
D’une épaisseur
à ne plus s’y reconnaître.

14.
Horizon
devenu phrases
jusqu’à la palpitation du poème.
Nos vies gelées
s’enflamment.

15.
Dire l’horizon – le tirer à soi.
Au milieu de ces heures sèches.
Tellement semblables.

16.
Dire l’horizon. Pour le saisir.
Le mettre à terre.
Mêler sa nudité à
nos ombres.

17.
L’horizon – une ligne
vierge ou terne
s’étirant
entre un ciel prostré
et une terre vaine.

18.
Un horizon. À courber
comme le fer autour
d’un tonneau d’ivresse.
À lancer vif contre
tout renoncement.

19.
Un horizon encerclant
une tonne d’ivresse —
en dérober l’incandescence.
Le jeter
dans le cœur
de l’obéissance.

20.
Un horizon encerclant
une tonne d’ivresse
son incandescence jetée vive
dans le cœur
de nos obéissances – j’en rêve.

21.
Horizon grossièreté lyrique
Horizon pitoyable lointain
Horizon goudronné. Avec un ciel
creusé d’acide. La terre
sous le bâillon des lois.

22.
L’horizon. Les désirs s’y engouffrent.
Les cœurs réglés
sur les mêmes minutes.
Et si peu d’écart
entre chaque existence.

23.
Comme l’horizon est pluriel
et l’asservissement commun !
En un instant un pas de côté
devient une marche obligée
pour la plupart.

24.
Un horizon s’ajoute aux autres.
Comme s’additionnent aussi
papiers en règle
voix sous séquestre —
pas à pas
la vie à sens unique.

25.
L’horizon se rêve.
S’échange se négocie se revend.
L’homme toujours cède sa place
contre un bien. Même au cimetière
l’inégalité persiste.

26.
Soudain une inversion.
L’horizon vaut pour lui-même.
Il se déroule s’agrandit
agrandit.
Poumon dans le cerveau, il
multiplie les respirations.
Brasse
du large.

27.
Le bleu lucide de l’horizon.
La probité de ses ors.
Sa blancheur sans concession.
La justice nuancée de ses verts.
L’épée inflexible de ses nuits.

28.
Autre jour – nouveau mal.
L’horizon s’obstrue et
se vêt d’écarlate.
Liquidité du soleil ?
Ou cette guerre plus loin
que l’on souhaite ne pas savoir ?

29.
L’horizon – aller voir au-delà.
Tenter d’y vivre.
Toute marche le repousse.
Jamais les mêmes ni autres
ses formes changent. Aussi vite
que notre vie s’épuise.

30.
Le bel horizon !
Ligne de partage et objet
de toutes les attentions.
Il n’est plus qu’un mot
sur une bannière. En dessous
palabre
celui qui coupera vos ailes.

31.
Chaque réveil signifie une aube nouvelle.
À la croisée d’un ciel premier
et d’une terre sans calculs
le monde s’aligne.
Le corps bien droit.
Vierge comme un livre.

32.
Chaque nuit absorbe l’horizon.
D’autres en naissent.
Lisière – orée – lumière…
Termes incertains et timides qui
pour le regard
donnent à la chambre
le forme d’un monde
redoutablement fragile.

33.
Dites horizon —
déjà on se ligue
contre le mot
et ses complots d’ouverture.
Louer les vertus du sol
voici l’espace
où pour le nombre parler
n’est plus se faire entendre.

34.
Dites horizon —
déjà votre visage
pille sans réserve
dans les largesses du ciel
Lui dérobe les frissons
d’une irrévérence à même
d’écarter les exiguïtés de la terre
(pour qui veut bien entendre).

35.
Le long de la voie ferrée
la bruyère
ensuite les pins
plus au-delà ce champ
encore après
la forêt contre le ciel
et soudain le reflet
d’un homme
que je ne reconnais pas.

36.
L’horizon la nuit
ses longues phases de silence
d’un coup
un oiseau dessine
une tranchante verticalité.
Dressés depuis tant d’années
les arbres l’ignorent.
Un miracle
qu’ils n’aient jamais rien transpercé.

37.
L’horizon dans une paume —
ainsi la fraîcheur
du jour commencé.
Est-ce possible de porter
à tes lèvres
ce qui par nature se dérobe ?
Inscrire ta chance
dans l’impossible : l’espace
où tu t’assignes.

38.
À ses échecs chacun
s’agrippe.
Épuise ses griffes contre
la pierre — rêve
de graver son nom malgré
l’indifférence de la matière.
Le ciel s’étonne
de cette lutte — lui qui est
seulement
l’exclamation du vide.

39.
Arrêtez ! Les nouvelles vont
vite — aucune
ne nous épargne.
Arrêtez. L’horizon
s’éteint. En ce jour
s’apprend la mort
d’un qui crut lui aussi trouver
source dans le lointain.
La vie promet.
Une seconde nous tait.

40.
Nous rêvons
l’ingrate promesse
de faire route ensemble
d’être du nombre
dans une commune ivresse
délivrés des ravages
de notre pesanteur.
Est-elle juste cette vie
qui nous délaisse
donne consistance au vent
et corps à l’oubli ?

41.
Je passe de nuit
près de l’horizon.
Plus j’en approche plus
il se creuse — comme s’il
entendait
ce que je ne peux dire.
Dans ses plis enténébrés
des visages se répondent.
Seul le mien manque à l’appel.

42.
Je traverse de nuit
la ligne de l’horizon.
Plus je la pénètre plus
elle se courbe. Comme si elle
m’entendait au-delà
de ce que je prononce.
Parmi les visages qui la peuplent
seul le mien manque à l’appel.

43.
L’horizon la nuit —
en reviens-tu
vêtu du lendemain ?
Sais-tu déjà ce qui manque
à ma vie
ces mots
pour dire qui je suis ?
Connaîtrais-je de nouveaux secrets ?
As-tu la clef
pour les ouvrir ? Le lieu
pour les cacher ?

44.
L’horizon — je désire être
à son image.
Sans cesse recommencé.
Avec ce magnétisme des nuages
l’élan du ciel
les créneaux souples des montagnes —
cette fluidité.
Ma main tendue
il se refuse — ses ondulations
me clouent au sol.
Je ne peux me rencontrer.

45.
Avec l’horizon les choses
tiennent sans disparité.
D’un bloc il prévient :
vivez votre dissolution
prenez chair dans vos courses
souffle dans vos croyances — moi
je vis irréfutable
de mes propres nuances.
Je suis la permanence.
Je demeure entier
et ne sais pas mourir.

46.
Le ciel à découvert
l’insolence de ce corps
l’herbe fidèle
sous mes pieds :
me voici — aussi vrai
que je m’imagine sans fin.
N’était le jour.
Lentement il me rétrécit
projette devant moi
la fébrilité d’une ombre
incapable de rejoindre
l’horizon.

47.
Comme tout un chacun
j’abandonne le soir
mes yeux au lointain et
glisse dans l’enveloppe d’une chair.
Elle sait se rendre aveugle
pour apaiser mes frissons
les enfouir dans sa nuit.
Son feu s’épuise jusqu’à la cendre
pour réchauffer
une vie incomplète.

48.
Reviens à ma fable — soupire
l’horizon. Éconduis
les mots frappés de volonté
où la nuance
s’abandonne à la pensée
et la pensée
à de regrettables édifices.
Perds-toi
dans ma contemplation
comme autrefois
lorsque tu t’agrippais
à des légendes
pour ne pas éprouver la réalité.

49.
J’ai plus d’un œil — confie
l’horizon. Tu me tournes le dos,
déjà je reviens vers toi et c’est
un autre visage.
Informe, je t’enserre.
T’écraser m’est impossible.
La distance nous unit quoique
nous restions l’un pour l’autre
de parfaits étrangers.

50.
Dire l’horizon. Avec l’angulosité
du cri, le jour
traversé d’essoufflement, ces peuples
à l’échelle de la peur, l’homme
dans sa dévoration, la perte
et ses territoires gagnés.
Dire la soif,
les corps dévoyés à midi, pendus
de nuit aux devoirs. Épris d’horizon.
Jamais affranchis.

51.
L’horizon des villes.
Le vide suspendu
d’édifice en édifice,
ce surplomb
à la crête d’un bâtiment
ou le débordement de la lumière
par-dessus une impasse —
j’avance.
Mon ombre flotte sur les murs.
Dans la perspective d’une vie
que rien ne retient,
j’ébruite ma présence.

52.
La verticalité d’un immeuble
entame d’un rectangle dur
un ciel cousu d’or.
À l’inverse s’écaille
un créneau vide – un lac en son milieu
s’étire en silence.
La ville s’échappe,
aspirée par une nuit si fluide
que nos yeux s’y aventurent
loin de tout visage.

53.
La ville tient à distance l’horizon.
Son érection domine ce qui
la borde — la dépasse.
Dressée, elle jouit de l’étendue.
Retombe soudain dans ses plis.
La répétition des obstacles l’a contredite.
Soumise à ces limites,
la ville lutte
avec l’irrévérence du vert,
des gris certains —
ce bleu jamais anodin.

54.
L’horizon descend sur la ville
écarte lentement l’os des rues
donne chair à la maison
où je me tiens impatient
de rejoindre les autres —
histoire d’effacer mon nom
dans l’humaine matière
en découvrant d’autres reflets
Que le mien. Histoire de ne pas
croiser ma vie
sans l’avoir reconnue.

55.
La ville – ses horizons.
À l’est des champs écrasés de givre.
Au nord le lac,
l’effacement bleue des collines.
À l’opposé une autre ville —
l’arythmie de ses blocs.
Ce soir à l’ouest
le vide encore,
La stupeur devant l’indiscernable —
un miroir noyé de silence
où l’absence se reflète.

56.
Ce n’est pas l’horizon.
Plutôt des vies ralenties,
au jour le jour
corrompues par la fatigue,
la honte d’être un instant
à l’écart des impératifs.
Des larmes coulent en elles
et ne façonnent rien.
Aucun cri par lequel
des visages s’échapperaient.
Le ciel est bas. Il s’effondre
en plein jour.

57.
La frayeur ne s’entend pas.
Ou c’est ce galop des talons
sur l’asphalte, des voix
qui à l’usage se brisent.
Sinon l’affolement sourd et quotidien,
le serpent malade des foules.
Ses propres ondulations l’oppressent
sous un ciel prêt à mordre.
Tout retard est une corde
où l’on se pend.

58.
Ce sont des vies
à la verticale des rues, des vies
avides de prononcer les langues
qui les traversent,
de libérer les gestes
qui nous condamnent.
Vies jamais étales,
déréglant l’autorité des heures
en un saccage heureux,
une irrévérence tranquille
où le temps n’est plus
l’auteur de nos peines.
Vies pleines.
Vies insatisfaites.
Vies lointaines.

59.
Vies grippées
vies grimpantes
vies griffées
affolantes
vies traversées
vies traversantes
à rebours des lignes droites
détournant détourant le sens
vies tremblantes
vibrantes osées affleurantes
vies fusées
vies vivantes
engendrées s’engendrant
à leur passage – leur déferlante
[pourquoi pas un chant ?]
l’espace s’incline
pour les saluer — se courbe
afin que l’horizon
en souligne toute l’importance.

60.
Tairais-je une vie orientée ?
Ou puis-je ébranler
ce corps pétri d’artifices, l’éreinter ?
Certains jours sa solitude
m’indiffère. D’autres, sa sociabilité
m’épuise — parlant en public
exhortant séduisant
connaissant par cœur ses blessures.
Saurais-je en dégrader
les certitudes ? Envoyer
un coup de sang au cerveau ?
La raison a pris la forme
de ses lèvres.

61.
Vois-tu la lame de ta main
confondue à l’horizon ?
Vois-tu / ne vois-tu pas :
la main est une image,
C’est la pensée ou le corps
selon l’heure — avec l’horizon
voilé / dévoilé.
Vois-tu ta main qui obstrue
écarte ou bien ouvre si bien
que tout finit par disparaître ?
Ta main agile, autoritaire.
Ta main légère.

62.
Les murs de l’homme tiennent bon.
Ils s’élèvent si aisément.
Résistent si doucement.
Griffés de toutes parts, labourés
d’écriture ils se sont dressés
et ne donnent à voir qu’eux-mêmes.
La ruine est une fiction.
Le vent — la légende de vains assauts.
La pluie — une histoire de corruption.
Ces murs narguent le silence.
Font taire les cris derrière.

63.
Les murs épousent le paysage
imitent l’arbre esseulé
la forêt en marche.
Le talus. Une rivière.
Et pourquoi pas l’animal en fuite.

Les murs recouvrent la nature,
Leur grisaille avidement
se colore d’un vert malade
ou du rouge de l’interdit
une fois les lois votées.

Enfin ils se courbent en sphère
pour circonscrire le monde
une dernière fois.

64.
Les murs sont devenus l’espace.
Ils le nomment le déterminent
redressent l’horizon
pour le faire tenir droit.

Ne reste plus qu’à édicter
de nouveaux devoirs.
Murs par-dessus les toits
murs parmi lesquels tu avances
entre reptation et bégaiement.

Murs fermés — et pareille la voix
à l’arrière du crâne.

Consens à cette nouveauté :
deviens la bouche par laquelle
on parlera.

65.
Accompagne-moi là où sa lame
s’élève le plus haut.
Je prends le risque de cet exil
le risque de me dire seul.
Écrire m’annule du commun —
je ne suis qu’un corps sur la crête.

Repars dos tourné
mes paroles en poche.

S’ensuit ma finalité : basculer
de l’autre côté de l’horizon
pour devenir visible
de ce que j’ignore.

66.
Nous sommes restés longtemps
devant des murs anonymes.
Nous tentions d’entrer en eux
par la singularité d’une trace
l’exclamation muette d’un impact
la crudité d’une griffe.

L’observation aussi tenace soit-elle
enseignée par l’art, vantée par la pensée,
n’était qu’obstruction – ce poids
où chacun se sait victime
d’avoir perdu à jamais
La force de s’échapper.

67.
La terre est blanche.
Il y a toujours des chemins
sans traces au-delà.
Plus loin encore, une forêt.
Aucune parole ne l’a encore brûlée.

La terre est blanche.
Il y a toujours après elle
une autre terre blanche.
Aucun œil ne l’a regardée.

La terre est blanche.
Il y a sûrement derrière moi
le même espace gelé.
Aucune mémoire n’a pu le sauver.

68.
J’essaie de parler au plus près de l’horizon.
Ce n’est pas un devoir — plutôt
des gestes qui n’entraveraient pas mon corps,
suivre une vérité qui changerait
l’opacité en chemins.

C’est bien sûr nulle part et à chaque heure.
Soumis à rien, variant,
fluctuant, selon une autorité obscure,
le désir de retrouver souffle au matin —
me savoir double de n’être plus seul.

69.
On est toujours dans l’inversion de soi.
Ailleurs où la tête repose.
Loin du chemin où la douleur se tait.
Hors de l’ombre qui nous attend.

La vie se distrait par principe.
Ne l’abandonnent pas le vent qui persiste
la primauté des glaces
la main sans effusion.

Notre langue déborde
d’excès si empreints de noirceur
que toute couleur se sait condamnée
à chercher une issue.

70.
L’esprit tendu vers l’horizon,
ce n’est pas l’homme ordinaire.
L’idée d’une heure commune,
ce n’est pas l’homme ordinaire.

Le ciel dans l’ancrage de la terre,
ce n’est pas l’homme ordinaire.
Renverser toute frontière
est un songe remis à plus tard.

La vie comme une demeure,
dedans la table pleine,
la faim éconduite,
ce n’est pas l’homme ordinaire.

71.
Le corps de l’autre est animal.
Il vaut comme horizon. D’instinct
il déborde nos sens, les soupçonne
d’un égarement de bon aloi.

Sa nudité nous fonde — de même
sa langueur vaut comme vérité.
À s’y frotter, notre propre existence
débusque nos prétentions.

Le corps de l’autre est animal.
Il surgit avec une dureté qui inonde.
Ruine le charme de nos croyances
au seuil de la déréliction.

72.
Une théorie d’oiseaux
au vol bu par les nuages,
l’épuisement de la lune —
la nuit pour la masquer,
en deçà une maison — une maison — une maison,
des réverbères, leur acier.
Ensuite,
les choses se multiplient.
Par lassitude j’en oublie le nom.
Je porte ce corps
d’une lourdeur à le confondre
avec l’ennui. Je redoute
l’ironie qui anime ses lèvres —
ce couperet a toujours raison de moi.

73.
Les murs ne s’exclament plus.
On a éconduit l’infini.
Pas d’étoile moisie pour s’émouvoir.
Une blancheur rapace
envahit la chambre.
Tout est pénétré d’oubli, jusqu’au
souffle expiré contre soi.
Dans les tombeaux les morts
se tiennent mieux. S’effritent
plus dignement.
Je ne vois pas d’issue à notre peine.
Laisse-moi rejoindre
ma propre ignorance.
Goûter ce jour déchu. Autoriser le temps
à piller ma mémoire.

74.
Les jours, leur linceul — le jeu commun
des recouvrements. Le présent
s’enveloppe si bien. Il faut s’aventurer,
porter l’erreur de vivre plus loin.
Très vite un ralentissement… ce corps,
cette lente avancée sur la route,
c’est soi. Ce qui l’a dépassé
parle juste et s’imagine vivant.
Les jours, leur linceul. On se recouvre
du linge de nos pleurs. Ensuite
on l’assèche d’un rire à faire peur.

75.
Les jours, ce linceul tendu —
on glisse derrière son visage,
s’imagine n’être plus.
L’heure
se froisse sous ce geste risible,
chiffonne chacune de ses minutes
afin que cesse la ressemblance
entre ce désespoir idiot
et un visage
où ne creusent que des rides.
Quant au ciel, ce dernier témoin
parierait jusqu’au bleu de sa légende
pour ne pas voir la scène
se vêtir de nuit.
et s’envelopper dans ses plis.

76.
De grandes rainures noires, la grisaille
d’un nuage au-dessus, le vert d’un champ
dont l’automne se moque, et ces routes
qui se languissent : il pleut si profondément.

L’horizon recule devant chaque parole.
« L’empire de la nuit » ? Pathétique image.
C’est à l’épaisseur qu’il faut consentir.
Afin que le tain usé d’un miroir
contamine les souvenirs — que la haute idée
d’un visage devienne le pire à concevoir.

77.
— Mais alors, l’enfance ? Quand la crainte
est quotidienne, et que les monstres nous laissent
vivre sous leurs dents ? — Mais alors, l’enfance,
la chambre où se ruminent les révoltes,
avec l’ailleurs, ce remède qui repousse l’obscurité
et s’accorde aux assauts de l’imagination ?
— Mais alors, les mots, leur nudité, leur tranchant
l’ironie de leur mystère ?
— Mais alors, la faim qui renverse la table pleine,
le miroir, et l’œil qui brûle dedans ?

78.
La tristesse manque. La joie
rafle tout, déverse son acide.
Les regrets mis à nu
se dispersent à même le sol.
Ravinés par la joie, les hommes
délaissent la pierre au cou,
portent haut la loi des couleurs.
Ce triomphe est débile, il étire,
prêt à le rompre, l’horizon.
Et crache ses hymnes. En cadence
des jambes raides envahissent l’asphalte.
La grande communauté de la lumière parade.
La tristesse manque. Manque aussi
Le chaos des ombres.

79.
Je recommence. L’instant d’après
je recommence. L’instant d’après
tout y sera : nom, prénom, lieu de naissance
et la vaste nomenclature de mes jours.
Ici n’est pas. L’instant d’après
est davantage que ce vide
où je dis : je recommence.
Je recommence. Ce qui précède
s’est achevé. La douleur
fut explorée dans ses moindres plis.
Je recommence, aligne l’instant d’après
sur l’horizon. Encore un peu d’achèvement et
je recommence.

80.
Dire l’horizon — la belle affaire
L’homme aime l’infini des recoins
et au-delà des refuges
le parfum tranquille du devoir.

Petite parole mienne, tu ignores
les quatre murs, tout comme
la fin des phrases.
Tes lèvres n’encagent rien.
Tu émancipes en quelque sorte.

À celui qui te manque, tu réponds
par des bégaiements.
Tu détournes, violentes, tyrannises —
voilà que le silence gît à terre
Même coupé en deux,
l’horizon demeure au bout de la langue.

81.
L’enfance. La fenêtre de la chambre
était traversée à l’horizontal
d’une barre de renforcement
sur laquelle je tentais
de régler mon regard.

Soit la tête se baissait et c’était
la cour — des enfances jamais rejointes,
soit mes yeux s’élevaient au-dessus
et la ville s’évanouissait.

Le ciel brillait de toutes ses nuits.
Nous vivions trop haut pour quelque saut.
J’apprivoisais ma vue pour ne pas faillir
et vécus cette enfance jusqu’à en sortir.

82.
L’horizon. Tu lui prêtes le meilleur,
l’invente à coups d’espoir et d’issues
entre l’ascension de ton regard
et une plongée dans l’immédiat.

Quelle aventure dans ton visage —
se libérer de ses grimaces,
s’émouvoir des chutes de l’aube,
d’une nuit pendue à ses lampions.

Oh le bel homme et ses conquêtes faciles !
Comme la mort est loin, débarrassée
de ses murs ! comme la vie s’émeut
d’elle-même à l’oubli de sa finitude !

83.
Des particules dorées
traversent la pénombre.

Le cœur de l’homme
bat tant qu’il peut.

Sous l’horizon pesant
s’égrène une parole.

Quelques contorsions
au corps fragile.

Mais l’homme est là
qui persévère.

Persévérer
émerveille.

À travers ces bribes
un chemin vif-argent est apparu.

On se tient là.
On chantonne.

L’horizon se relève.

Ses gammes sont
des aurores.

Rouge — orange — jaune
rose — violet — bleu
terre — ocre — ciel
mauve — tout et rien

On se tient là.
À vivre encore.

84.
C’est donc cela, la vie,
du moins l’horizon :
Un chemin de mélancolie.

On espère y poser ses pas
à peine dessus,
nos traces s’oublient.

Les choses nous ressemblent.
Les choses nous éloignent.

J’ai des sentiments bien obscurs —
j’imagine autrui
à même d’y souscrire.

Sur certains horizons
se découpe une montagne.

Il n’y a pas d’ascension.
Pas de quoi se confondre
à l’horizon !

On en revient toujours à soi.

Ô mélancolie.
Ô chemins.
Ô heure sombre.

85.
Comment s’y prendre ?
Les années n’étirent rien.
Le corps étouffe sa peine
et s’use d’être sans élan.

Prendre d’autres visages
que le sien, projeter sa vie
pour la perdre — de quoi
se retourner soi-même
et ne jamais toucher du doigt l’horizon.

Saisir, étreindre, s’abîmer
dans des embrassades :
voici l’homme. Tout entier
dans ses effusions.
Prêt à étendre son ombre
sur quiconque contraint.

Devant soi tant de vies
encombrent.

Et chacune intimide
par son inerte ressemblance.

86.
Avancer. Si l’on veut : partir.
Si l’on veut avancer, partir.
Quitter. Couper le fil
qui retient, la laisse
qui étrangle. Laisser là-bas
une part de soi. Ne pas la récupérer.
Partir de travers s’il le faut.
S’il le faut, trébucher — bégayer.
Le corps fendu, la bouche large
rejoindre ce qui s’élève devant soi :
l’étendue.
Avoir le soleil pour faim.
S’abreuver à son ombre.
Se quereller de nuit avec le jour.
C’est alors qu’apparut
une immense clairière.

87.
La tristesse, miroir dans la lagune.
Ses reflets.

Il y a l’horizon. Les belles paroles.
Et aussi de grands fonds.

Dessous un ciel vide,
avec ses trésors possibles
ses joies dorées,
il y a l’eau qui aspire.

Il y a du vide sous le ciel vide.
Une fluidité du vide.
Elle inverse toute proposition.
Noie les désirs comme un animal.

La vie a beau être fauve,
elle s’avoue inutile. C’est un fardeau.
Il convient de s’incliner.
Devenir pierre un instant.

S’enfoncer.

88.
Je dis l’homme, l’être humain.
Le poids des chairs sur ses os.
Le rire de sa démarche.
Ces gestes que l’aube annule.

Je vous dis le bruit sec d’une corde
qui se pend et personne
au bout du fil — plutôt la crainte
de vivre de travers.

Je vous dis la vie à l’écart
et sur le côté, visible,
le chemin creux qu’il eût été
préférable d’emprunter.

Je ne dis pas l’échec.
Juste les paroles
que vous abandonnez
une à une.

89.
Villages à l’horizon.
Inconnues. Attirants.
Avec foules et solitudes.
Villages à point nommé.
Avec fêtes sang santé.
Avec des visages —
des visages de grâce.
Villages donc. Visages évidemment.
Villages en cercles à l’horizon.
Villages de pierre de paille d’herbe
Villages fleurs et montagnes.
Villages avec visages dansant
au bout des corps. Corps
jamais à la peine. Corps
et visages à deux doigts d’être nôtres.
Inconnus. Attirants.
Mais si loin.
Si loin à l’horizon.

Il n’y a plus qu’à frayer dans ta peur.

90.
Dans la vie, un goût de pierre.
Ce fait connu de tous —
tous ont mordu dedans.
Un goût de pierre. La dent fendue
rend la langue. La langue fendue
prend le sang à témoin.

Dehors est l’oxygène.
De quoi
oublier la plaie et cracher loin
devant.

Ou alors entrer dans la ville enrouée de bruits.
S’asseoir.
Un café porté aux lèvres
troque l’amertume contre
de l’amertume.

Je m’assieds devant le livre
ouvert de l’humanité — galop
des voitures et cris divers.
Je porte mes yeux au loin.

91.
Je fais plus de mal à mes paroles qu’à moi-même.
Je fais plus de mal à mes sentiments à qu’à moi-même.
Je fais plus de mal à mes souvenirs qu’à moi-même.
Je fais plus de mal à mes lendemains qu’à moi-même.

À mes désirs. Mes vérités. L’ironie
de mes lois. Mes énigmes, le ruisseau
si peu profond de mon sang, cette pensée
en conflit avec l’horizon.

Je fais plus de mal à moi-même qu’à autrui.
Autrui est le seul bien.

92.
C’est un métier obscur.
On s’enchaîne au langage,
on allie la clarté
à une ténèbre peu vertueuse.

Il y a davantage. Les pensées
s’étiolent — à défaut se chevauchent.
Le soubresaut ordonne la perte.
Finir ne compte pas.

L’urgence se confond à l’espace
avec l’enregistrement des visages,
le bégaiement de la mémoire —
cette blancheur à son envers

Tout se soulève. Rien n’est atteint.
Un écho commence la lecture
d’une autre heure. Aucun franchissement
qui prenne le masque de l’oubli.

La lumière s’y évanouit d’instinct.

93.
C’est un métier obscur.
Moins qu’un devoir plus qu’un désir.
Il dit de nouveau une vieille histoire —
ce geste retend jusqu’à la terre.

Les mots disent la raréfaction.
Le vide dévore ses promesses.
Toute chute dessine un visage —
la mort étendue dans nos ombres.

Finir ne se prononce pas.
Il faut régler sa marche sur l’horizon.
Espérer s’y tenir au soir.

La parole commence par un vagissement.
Il ne s’arrête pas.
C’est un métier obscur.

94.
C’est le métier obscur d’un
au milieu du nombre. Il traverse
les mystères qui étouffent,
les vérités sous le bâillon,
la prison en plein air et
la liberté (si l’on veut)
dans la multiplicité des gouffres.

Là-dedans autrui pénètre. Du moins
le temps de lire.
Ce métier se pratique ce jour
dans un café — ce monde cosmopolite
sur l’échafaud des démocraties.

Le monde est une étude.
Placez le mot « horizon » sur une table.
À chaque heure, le poème changera
de chiffre pour aller vers autrui
et ne rien trahir.

95.
La ville — promotion en cours des sensations —
nouveau parfum de vivre — têtes à vider
sur une plage lointaine — la satiété
avant la faim.

Promis : ce vêtement sur vous jeté
ne sera pas votre linceul.

Ville parfaite — le chaos dessous
écrasé par l’asphalte et la vitesse.

L’horizon n’est pas de la fête.

Tout s’accomplit sous vos yeux
à moins de dix mètres.

Bonheur à chaque étage. Les mains brûlées
par le travail et les yeux exclus de la lumière
sont à la périphérie. Aussi vrai que la révolte
respire dans les marges.

96.
L’horizon n’en finit pas.
Un arbre — une haie — une forêt
sont la ponctuation d’un espace
infini qui s’ouvre derrière — cette
planète fût-elle ronde, ce qui
recommence s’étend autrement et
déploie de nouvelles directions, une
multiplicité de cercles comme, il
faut le dire ainsi, de visages qui
vous fixent, n’appelant rien d’autre qu’
une parole elle-même soumise à ses
horizons internes, des retour
nements si l’on veut — le
cristal d’un monde qui murmure de
secrètes équations, ce que l’on appelle le
plus souvent un chant.

97.
Dire l’horizon, c’est avouer l’imperfection
du langage, ce corps comme un brouillon.
Ce geste consiste à tracer sous la pluie
des inscriptions à l’encre sale.

Tout contrarie nos échecs. Déjà
la vie se poursuit après nous
absorbe notre amertume
sans y prendre garde.

Nos contradictions nous dépassent. Déjà
par le souffle qui les traverse
quand le nôtre vient à manquer.
et parce que continuer dépasse l’illusion.

J’essaie mais repousse l’horizon de la page.
J’essaie et suis toujours plus bancal
que le poème inachevé. Chaque défaite
m’ajoute au nombre.

98.
Chose promise, toujours à dire.
Elle file acide entre les mains,
s’effondre sous le regard, rit
du sens et maudit l’objectivité.

En parler, c’est montrer les dents.
La bouche a beau oser, ne se prononce
que l’écaillement d’un chemin.
L’horizon est un mot noir sur blanc.
Même si je l’imagine palpable, en ce lieu
dire est vain : la voix se peuple d’insomnies.

Rends-toi à l’évidence : le chemin ne sera jamais.
La chose tient tout entière dans son impossibilité.
et déborde cette impasse
par la fluidité de ses formes.

99.
Sois au plus près de l’horizon.
Tu as le droit de maudire
ceux qui touchèrent le ciel.
Leurs corps pétrifiés sont devenus
la route sur laquelle tu es libre d’avancer.

Ô désir couleur de rage,
Ii est éprouvant de rester
à l’endroit de la station humaine.
La terre patiente.
Qui l’a vue s’entrouvrir ?

Pareille légende n’aide en rien —
sinon cracher sur l’ennui.

Sois au plus près de l’horizon
à défaut d’en pénétrer la matière,
Avance sur cette route
où se devinent des visages
et jouis, jouis d’être sans lendemain.

100.
Si droit que tout en déborde —
et tombe de ses hauteurs.
Pareil chacun chute et chute pareille
la langue qu’il parlait.

Plus j’en parle, plus je le perds, plus
s’étiole une présence amèrement gagnée.
Plus je dis l’horizon, plus il
se défait et écarte les rives.

Si courbe que les bras perdent
leur vérité. Le corps se démembre
et joyeusement disloqué appareille
vers l’absence de tout repère.

Plus je l’écris, plus il change, plus
je le raconte, plus il multiplie
son nombre. Plus je pense m’en approcher,
plus il n’a jamais été.

101.
Ô la fin du jour et
l’horizon gorgé de lumière.

La nuit naît —
la nuit et son épuisement.

Ô la nuit venue
l’horizon écrasé d’étoiles.

Les ténèbres s’affolent.
Ah l’effeuillement de leurs songes.

Tu n’es le capitaine
d’aucun navire.

À chaque heure apparue,
tu es en retard.

Le calendrier de l’horizon
se déroule sans toi.

Tu te tiens trop loin.
Tes promesses se sont éteintes.

Le corps en rade
reprends une gorgée.

Comme souvent
te voici accoudé au jour.

Tu dormirais de nuit
en plein soleil.

Un chien
s’écroule dans ton ombre.

102.
Ne désespère pas homme à moitié.
Peut-être à une heure moins creuse,
ce sera la grande électricité
d’un regard
à même de redonner vie
et t’emporter dans son déluge.
Réjouis-toi d’une vie éprise
de mouvements — laisse venir à toi
la dureté de ses étreintes. Si l’horizon
est un terme capable de briser
sa propre forme, il peut de même
fendre un regard en deux.
Ne désespère pas homme de trois quarts,
prends feu sans redouter de pluie dans les parages.
« Brûler est le dernier acte sincère. », as-tu écrit autrefois,
quand l’horizon naissait à peine.

103.
Ah les lourds étés brûlants
cousus à la bouche des familles !
Tu as goûté la sueur au front de l’après-midi,
tu t’es réfugié dans une pièce
dont tu sortais à peine et tu t’es avachi là —
incapable de divaguer face à l’horizon.
Pour cela, il faut un rien de connaissance
ou sinon vivre de ses querelles.
Tu étais le petit muet au corps fauve.
Le ciel blanc de ta chambre te regardait.
Pareille te fixait l’ampoule d’aucun soleil.
Il est long d’apprendre, expulser
la vie hors de soi
sans qu’elle ne déchire nos limites.

104.
Quand les journées s’agrandissent
avec un ciel bleu tardif
et une nuit à reculons, s’étend aussi,
plus courbe, plus tendre
(et peut-être légèrement indigeste)
une mélancolie.
Te voici ajouté à la multitude — comme
tu aimerais t’en retrancher !
Sur tes deux jambes de bipède en rien
tu n’en diffères. Ce cerveau à la fièvre tiède
t’aime. Il te fait croire singulier —
l’unique. Manifestement promis
à recueillir la mémoire d’un temps —
déjà du tien. Tu confonds cela tantôt
à l’horizon et quelques trésors à ses pieds,
tantôt aux murs de ta chambre,
un tombeau profané depuis longtemps.

105.
Soudain les villes reviennent.
Elles griffent l’horizon, le traversent
de tiges de fer, et de plus sournoises matières.
L’homme dans ses transports apparaît —
Véhicules & états d’âme.
Ainsi ce paysage à l’horizon :
Béton —Parcs — Béton.
Chacun avance ses yeux, abîmés
par l’urgence des situations, avec le désir
de voir plus loin. À l’angle d’une rue
— à hauteur de ma vie — l’horizon soudain
surpasse la ville et l’extrait de son abîme.
Une rumeur naît : l’exhalaison d’une forêt
HORS DE TOUTE PERSPECTIVE !
Le corps s’y dirige, renverse ses limites
et s’écrase contre des écorces sombres.

106.
La terre rejoint le ciel par on-ne-sait-quelle attraction.
Confondus l’une à l’autre violemment,
ils érigent la ligne courbe que les yeux
parcourent aussi bien que les doigts.
Ensuite naît la lecture humaine,
ce génie usé des interprétations.
L’infini fait partie de ce lexique.
Également la phrase continue de nos visages.
Notre conscience admet ses saccages,
elle sait qu’elle peut à tout instant
recouvrir ce paysage de ses flammes.
Cette violence, si tu tiens en elle, tu dois
la rejeter, te connaître
comme l’habitant d’une ligne de partage.
Annule ce corps, cette prétention,
annonces-toi à l’horizon.

107.
Il y a l’eau basse — et la place froide
où disparaissent nos pas. L’œil suit
le soleil, du lever à la réduction des ombres.
Ensuite la plage se rétracte, le sable éblouit
quelques secondes, une nuit sans grâce
advient et de ses lentes fermentations
recouvre l’espace où presque aveugle chacun s’avança.
— Et le cœur dans tout ça ? Ou bien,
dernière demeure du monde, l’âme, l’âme, l’âme ?
L’âme est l’eau basse. La place froide.
Le sable obscurci — jamais le soleil.
L’âme est l’ombre. L’odeur de la nuit.
L’âme est la phrase que personne ne finit.

108.
Ces horizons ! Ils furent vécus
comme autant de livres entre ses mains.
Il en connut les théories véloces,
les immuables hypothèses, les intuitions
devenues lois, l’évanescence ramenée
au poids d’un calcul, le triste homme contemporain
qui par la suite (même carnage, même agacement)
désira un peu d’émotion (même violence,
mêmes impasses) et n’eut qu’un parler
grossièrement lyrique avant d’être changé en tombe
(comme ces corps antiques le long des routes).
Parce qu’un horizon, parce que plusieurs,
c’est même perte, même égarement.
Pauvre homme d’aujourd’hui, pauvre matière.
Combien risible le lointain, la force prêtée à l’art —
toutes ces manières.

109.
Tchac tchac
ça, c’est le son du fouet — et l’humeur du jour
Tic tac
fait l’horloge dès le premier vagissement
Grrr grrr
ça, c’est l’homme au milieu des villes
Prii prii
fait l’idiot pour ne pas entendre notre folie
Toc toc
quand personne ne répond, la vie se referme
Schplic schplac
avant le cœur, le corps salue la putréfaction
Crac crac
fait le cœur enfoui qui lâche enfin
Chlup chlup
fait la terre qui engloutit tout
et rit de l’accouplement entre la terre et le ciel
qui répond au doux nom d’horizon
Prii prii
fait l’oiseau au-dessus des tombes.

110.
N’étaient nos yeux – qui le portent
au dehors, l’établissent de toutes parts,
le redressent, courbes et frontalité,
l’horizon en nous épouse la cambrure des veines,
la robe du sang, la palpitation des os.
Il se tient là, ignorant la lumière.
Il est là, rien ne l’extrait, ne le prononce.
En chacun, il est clos, à toute heure inconnu.
Familier des ténèbres — ne le sachant pas.
S’épanouit-il au sein de sa stagnation ?
Nous l’ignorons. A-t-il la moindre pensée
dans la profondeur d’une telle liquidité ?
Aucune réponse ne franchit ses lèvres.
Il est là, enfoui. Tenu au silence.
N’étaient nos yeux.

111.
Nous y sommes.

Oublions les horizons défigurés.

Conjuguons l’avidité au passé.

À la crête de rien, enfin nous voici.

Il faut laisser l’air tout altérer.

Le grand air.

N’était-ce pas cela, notre désir ?

Laissons l’air tout altérer.

Défaire.

Éparpiller le paysage.

Nous étions si vétustes.

Tellement persuadés.

La mémoire se courbe.

Se confond à la ligne où nous nous tenons.

Ligne vierge droit dessous nos pieds.

Nous nous tenons, infimes, si risibles.

Un regard suffirait, pour poursuivre.

Rompre l’espace.

Un regard porté ailleurs.

Vers nulle part.

Vers un regard.

Un regard et l’horizon se dessine à l’horizon.

Et si pleins.

Un regard.

Recommençons.

110.
Dire l’horizon :
À peine né, piqué à vif !
Avec la terrible nécessité
de nommer ce qui est promis à la dissolution.

Paysage de cendres
ou verdure sujette à caution,
il faut continuer,
se rendre fréquentable.

Ne vous y trompez pas.
Tout espace suppose son contraire.
Ouvrez — on vous fermera
la vie au nez !
Reste à penser dehors.

L’infini, l’ailleurs, la négation —
le bel horizon !
Il déballe ses charmes.
Écœurés, nous n’avons plus
qu’à lui crever les yeux.

Rien n’y fait — nous sommes
jetés dans le monde.
Sans cesse s’éloigne
la ligne d’arrivée.
Et la vérité se terre, et la vérité se tait.

109.
De chardons et de rires, la vie est ceinte.
Sans préjuger d’une chute, chacun
mène son chemin et gravit l’horizon
à l’imitation d’une montagne
alors qu’à son image, la vérité
se tient plus loin. D’où les genoux
en sang, et les mains à la peine.
L’imagination s’atteint mieux
que le sommet des neiges.
Regardez : elle descend des hauteurs
et fouille le corps rêvé
comme une partition. Sans hésiter
elle le sépare, le disperse —
chanterait presque sa déploration.
De chardons et de rires,
la vie est ceinte.
Le rire déchire mieux que la plante.
La vie s’éventre d’être trop connue.

108.
Quel horizon ? Des labyrinthes renversés
—ainsi les villes, leurs allées de néon,
loin des soleils premiers.

Les nuits se changent en rues.
On butte sur des trottoirs
où ne défile plus
la multiplicité des mondes.

Revenu au point zéro, l’infini !
Quoi que de nature il espère.
Au compte-gouttes des rêves
retrouvera-t-il un nombre
auquel s’articuler ?

Les routes s’entrouvrent —
l’oubli s’y jette tête baissée.
Lueurs toutes éteintes – ainsi
l’horizon, là-bas, en surplomb.

Qui oserait s’émouvoir d’un horizon
au-delà des émotions doctes des livres ?
Des lumières s’allument —
auprès de vies mises sous perfusion.

107.
Les campagnes
furent de vastes monuments.
L’horizontalité s’en est éprise,
les a anéantis – mettant à plat
leurs ornements.

Elles ne sont plus que ce substrat végétal
soumis à la roue des saisons,
masquant de nobles héritages —
ladite civilisation.

Ça resplendit aujourd’hui
entre des routes paumées et des marécages.

De grâce, crache sur ces comparaisons.
L’absence triomphe.
Elle a raison du langage.

Idiotie de l’homme instruit :
devant le fait,
il convoque la vision.

La nature est l’oubli.
Même si, çà et là, on admet
qu’un étang a des airs de fresque.

Tout au plus est-il
les vestiges d’un horizon.

106.
Un horizon est-il
(tout au plus) les vestiges
d’un étang aux airs de fresque ?

On admettra çà et là
l’oubli de la nature.
La vision convoque le fait
et instruit l’homme de son idiotie.

Le langage a la raison
pour triompher de l’absence.
Les comparaisons crachent
sur le moindre soupçon de grâce.

Des marécages aux routes éventrées
le monde tente de resplendir.

Ladite civilisation masque l’héritage.
Les saisons déroulent
la fragilité d’une verdure immuable
pour se raconter encore.

Leurs ornements s’élèvent —
troublante verticalité qui méprise
notre goût du crépuscule.
Monumentales, les campagnes
se dessinent entre terre et ciel.

105.
Tête nue, honore les campagnes.
Si vomir ne suffit pas,
au moins rejette loin de toi
les choses connues, sois capable
de parler à rebours.

À rebours, avance
dans l’épaisseur sauvage des campagnes,
broute le sol davantage que le dire,
copule sous une lune féroce,
donne à tes sabots
les coups de bâton du monde.

Poursuis le saccage dans les prés,
l’œil fauve / l’autre éborgné,
rue dedans le calme,
beugle la parole que la ville éteint
et rallume en publicités.

C’est là tout le mal que je me souhaite.
Je le dis couché le long de l’horizon —
la bouche ouverte.

104.
Un désir de pureté animale —
frotter son flanc contre les collines,
donner de la corne
dans l’épaisseur de l’eau,
taper ferme du pied
sur le sable des déserts —
voici l’homme, avec le sexe
comme un cristal.
La voix n’est pas. Ce sont
des hurlements — des aboiements —
jacassements — croassements —
hululements s’il le faut.
Quant aux morsures…
Des dents aiguës se plantent
à toute heure
dans des chairs fraternelles
et n’en doutons pas, pour certaines, sororales.
S’ensuivent de longues siestes,
une langue abrutie par ses sensualités,
l’envie soudaine quand point le verbe
d’être bordé par l’horizon —

103.
Toi, éprouvé par ces larmes
versées sur ton inconséquente modernité,
tu dis être si peu,
et le crie à tout-va, découpant
le gâteau de ta misère (une part pour tous).

Tes petits parjures valent bien une croix,
tes maigres remords
ne font pas d’ombre à ta personne.
Tu jures ta foi
dans l’exiguïté d’un langage
qui confond la sentence d’une loi
à une arme pointée sur autrui.

À ta bouche s’est liée une colère
qui en bonne conseillère
t’invite à étendre ta juridiction.

Comme il t’est agréable de fouler
journellement l’image de l’horizon !

102.
Vous, avec vos cœurs de bègues
remontés jusqu’aux oreilles,
comment ne pas aimer vos hoquets,
vos jambes inégales
qui se dérobent aux parades et dansent
avec la brutalité des fleurs —
quelque chose de libre, à même
de disparaître et ressurgir en une seconde.

Vous, abonnés à la stupéfaction,
la foudre vous terrasse chaque jour,
vous bâtissez votre ignorance
sous un horizon hospitalier
où l’on fabrique vos futures tombes.

Être promis au pire, votre chance.
Le pire de l’inversion des autorités.
Le pire de l’affaissement des volontés.
Vos visages bientôt en ruines déjà sourient
au-delà du présent poème.

101.
Vert feuille,
c’est l’évidence.
Également un bleu nuit
bordé d’orange rouge
d’avant un soleil revenu —
primauté des couleurs,
éblouissement des formes.

J’y ajoute ce lointain
sans surplomb,
de muettes matières
et d’impalpables vérités.

Je n’oublie pas l’irrégularité
des masses naturelles, l’eau
enchaînée à ses reflets.
Par extension,
la découpe des bâtiments
(toute élévation est sentinelle).

Et bien sûr des êtres humains — sinon des foules.
Cela va et vient, sans idée
des volumes. Pas moins
dans la perspective d’une vie multiple
au seuil de laquelle l’horizon s’arrête
et devient anonyme.

100.
Je tiens à mon silence,
dit la foudre
(tout le monde rit de bon cœur).

De fait,
personne ne s’affole
des couleurs meurtrières du couchant —
cette lame rouge essuyée de loin
(à plat sur notre vue)
par on ne sait quel assassin.

Les contraires nous traversent —
et font rendre gorge.
Nos vies à moitié perdues
nous convoquent comme premiers témoins.

À quoi bon s’alarmer
d’un crime quotidien ?
Il y a tant à faire
avec nos exactions intimes.
Ce cerveau écrasé
sur les pages, qui effraie-t-il ?

La foudre est le silence.
Reste calme, cœur brûlé mien.

99.
L’horizon n’existe pas.
Comment pourrait exister
un ciel face contre terre
ou vautré contre la mer ?

Qui prêterait foi à
une si candide vibration ?
Peut-on croire une forme
qui se dit lourde d’espoirs ?
Notre conscience piétinerait
sans hésiter une seconde le corps
de pareilles prétentions.

L’horizon n’existe pas.
N’existent pas plus
les hypothèses, le désir, les illusions.
L’horizon s’est inventé pour contraindre
notre goût de l’effondrement.

Existent les pluies d’enfance,
le jouet jamais guéri, l’écœurement
des fenêtres, et ce chemin dehors
qui aurait dû mener quelque part.

98.
Où que je regarde,
je me prolonge —
Voici le charme.
Parfois l’ombre m’invite
à dépasser sa marche.
Parfois, elle respire derrière.

Haut et bas, dit-on —
la narration rêvée
d’une liaison entre
le plat de la terre et
la fuite du ciel.

Si je baisse les yeux,
ma parole dévale et s’accorde
aux riens des graviers,
à l’immanence des fourmis.

Je rampe alors dans l’infini.
Une autre ligne d’horizon
surgit et me sépare.
Les yeux clos, le charme continue.

Quant à la tombe,
je n’en connais pas encore
l’insomnie.

97.
La pluie comprime l’espace,
écrase ses figures
contre l’austérité des vitres.
Le paysage se défait —
ne se devine plus.
Il prend place dans le souvenir.
Les formes s’écoulent désarticulées.
Pareil, le visage fixe
ce qui lui reste de reflet.
Temps clair. L’image
n’est plus qu’un effondrement
plaqué sur un horizon fantôme.
Ne demeure que le corps
et ce bruit frappé au dehors.
Le corps replié, l’eau bruyante.
Ne se disent que l’apparence d’une vie
et la pluie sans cesse revenante.
La vision obstruée, le son de sa chute.

96.
Vous le jugiez creux, sourd
à vos sarcasmes, et c’est vrai
qu’il s’étend là, se vautrant
dans son propre vide, avec
la pauvreté de son décor — l’horizon.
Il rumine — ne sachant pas
ne pas s’observer.
Traversé de fusées brèves,
frappé de calme, délétère, tristement pur,
il dresse le drapeau d’un bleu douçoureux
et n’oserait songer au moindre abandon.
Au-delà, lointain, dénué de formes,
se déployant en circonvolutions, caché
aux lois du visible, de la fixité
des couleurs graves et des platitudes,
parmi la musique des sphères — l’éther.

95.
En surplomb —
l’éther.

L’horizon
ignoré.

À chaque mot
répond l’absence.

À chaque mot
son anti-matière.

Le ciel
bu par la terre.

L’océan
marchant sur la terre.

L’éther
les annule.

L’éther
ne s’arpente pas.

Il est
sans sillon.

Sans sommet.

L’horizon
s’y dissout.

Le haut
renverse le bas.

Rien
ne se prononce.

Rien
ne se regarde.

C’est
un au-delà.

Il tait
jusqu’au son.

Crève
la pensée.

Ne laisse imaginable
que le vide.

Ô humains,
ô vapeurs en nombre,
réfugiez-vous sous l’horizon.

94.
Le rire grossier des espaces célestes —
à le redouter, ne devines-tu pas
ce juge en toi qui a tout compris
des impatiences de ton corps
et règne depuis sur ce fragile territoire ?

Tu en es là —à te tordre, prêt
à expulser des os en trop,
te fendre à l’endroit du visage
pour en révéler l’éternel grimace.
Ou te retrouver joyeusement ignare,
rampant sous l’horizon
comme aux premiers jours de ta sauvagerie.

Peu importe. Tu attends
l’alliance d’une parole,
afin d’égrener ce chapelet de lois
qui ouvrirait un chemin.

93.
Le ciel s’en va.
Et s’en va chargé d’ombre
l’homme à son imitation.
Il s’est dressé avec peine
au cours des ans, s’est évertué
à donner un visage à des vérités,
voire changer la boue en maison,
le sarcasme en tables pleines.

Le ciel s’en va —
autant dire la lumière,
l’ivresse des pluies, la dictée du vent.

Le ciel s’en va — s’éteignent
les vallées vertes, les neiges d’antan.

Le ciel et l’homme s’en vont.

L’horizon s’accorde en silence.

92.
La langue pendue, n’est-ce pas ?
Cela votre nature — présentée
comme un devoir, avec au jour le jour
un saisissement devant les choses —
la pâmoison du quotidien, ce désir
d’attraper le moindre soupçon de vie
d’une main pure, d’en offrir
les parts sanglantes — la vieille idée
d’une humanité rassasiée. Sans oublier
la perspective d’horizons en tous genres,
si droits qu’ils semblent en érection.
Le beau geste, le bel artiste du vide
dépeçant la matière, buvant
langue pendue les couleurs
jusqu’à en mourir.

91.
Je descends vers l’horizon, vais
dessous la profondeur, la creuse
pour exhumer du jour —
soudain me retourne, la grande figure
sauve est toujours là, je m’étends
au-dessus, et nais à son image
de mes propres contorsions,
prêtant une âme à ce qui fuit
une partie seulement de ces heures.
Je me retourne encore : le monde
ne chute pas, à chaque fois c’est
un autre lointain, l’espace se défait,
s’ouvre plus vrai, quoi que demeure
toujours visible l’horizon
que je viens de quitter.

90.
L’arbre. La fleur éprise d’hiver.
L’herbe mordue par le givre.
L’hibiscus, ses brûlures. Soumis
au même supplice, les rosiers étiques.
L’horizon du jardin dévale sur moi.
Refuse à la vue tout discernement
prête foi à la tendre et verte désolation
d’un jour sur le calendrier froid.
En d’autres termes : décembre extrême.
Avant une vaine floraison,
l’année nouvelle est sans volonté.
Le corps s’accroche à une chaleur close.
La maison enserre autant le froid dehors
Que des fruits violentés jusqu’aux os.

89.
Plutôt le fruit tombé, c’est ça.
À quoi se comparer sinon
à la perfection la plus minime
à l’heure revenue du printemps ?

Plutôt le chien errant, c’est ça.
Couché le long des villes, échappant
au rêve des bouchers, sa faim
présentant sa croupe à notre solitude.

Plutôt l’ombre ténue, c’est ça.
Réfugiée derrière la porte, tout près
d’une solitude assise à écrire.

Plutôt le désir de s’annoncer
entre terre et ciel, quand l’heure
— c’est ça — ne veut plus de soi.

88.
Il poursuit encore ce rêve d’horizon.
Voyez sa bouche creuse : on a beau
chercher de l’éloquence, toujours
un essoufflement se fait entendre.

S’est-il épuisé en chemin, à vouloir
tout saisir ou se saisir lui-même
entre une aube qui n’y comprend rien
et cette terre là-bas où il serait
plus heureux que d’être assujetti
à la ville et sa parade de magasins ?

Un craquement résonne soudain.
Eh oui les os de l’homme — sa vie.
Une lente suffocation entre deux rires.

87.
Le grand défi de la saison :
attraper l’horizon.
Avec une corde qui
autour du cou rumine.
Comment s’en défaire ?
C’est qu’elle pèse, la carne,
aime de tout son poids.
Quand elle se fait oublier,
l’homme écrit,
l’oubliant presque
avec les vers d’une telle mélancolie.
Nul air pour la charmer,
l’élever à quelle saisie magique —
il faut s’en défaire habilement,
la jeter au loin comme on tient
enfin sa chance. Attraper l’horizon,
le grand défi de la saison.

86.
Devant soi le dessin d’une ligne.
Elle se courbe et l’on se courbe
à la suivre — se courbent de même
les yeux, le cœur, la langue.
Ça finirait par se briser seigneur
si l’ombre ne nous retenait pas.
Poursuivons de nuit,
cela annule toute lueur.
On ne se heurte qu’à soi.
Quand la lumière se fait,
ne se tient dans la chambre
qu’un stylo qui agace le papier —
comme le corps enfin couché un jour
grattera la terre de ses ongles.

85.
Il s’agit d’être porté par le désir,
d’être le sujet du moindre acte,
du moindre soupir. D’être enlacé
à ce qui effraie — ruptures,
chutes, suspicions, ce qui finit
toujours par nous atteindre. Il s’agit
de toucher du doigt l’inaudible, d’être
dans la tornade le baiser sur le front —
de glisser sous terre à l’heure dite,
d’abandonner la couronne de dons
déposée autrefois sur cette tête. Il s’agit
de vivre en son propre nom.

84.
Clang clang clang — j’ai foi
dans le son de mon tambour.
Clang clang clang je respire
à travers sa peau de bête.

Quand la nuit soupire, jette
au sol les méfaits de la lucidité,
se réjouit de boire les ombres
qui m’animent, eh bien
clang clang clang je joue du tambour.

Je fais trébucher la peine et
donne des yeux à l’obscur.
Je réveille le cœur, lui fait
ravaler ses doutes — et
clang clang clang
me tiens droit sous l’horizon.

83.
Vivre veut tout de moi : j’inscris
cette phrase si peu péremptoire
à l’agenda de la journée.

Tricheur ! L’aube se pointe —
levé trop tôt, tu t’envelopperas bientôt
d’un autre sommeil.

Pas grave : l’homme tient dans ses trahisons.
Ces retournements offrent un corps
à ses prétentions.

Endors-toi. Éveillé ou pas,
tourne tourne la roue
d’une existence confondue aux songes.

Tu es double. L’est également
la seconde journée qui commence
en déchirant le corps de la première.

82.
Le vent, la chambre, les lames claires
du parquet, la lampe, l’aube,
des oiseaux, des fils électriques,
de la pluie fine, du gel sur les parebrises,
l’escalier en bois, la tasse de café,
un chat de passage, le jardin,
les rosiers, les murs de chaque côté,
l’arbre en surplomb, trois pies,
leur jacassement, les radiateurs,
la table et la chaise — je m’ajoute
aux choses, tout frémit
d’être réuni et nul ne sait
qui parle en cet instant.

81.
L’horizon a bon fond. Ne blâmez pas
ses multiples visages, comme s’ils
témoignaient d’une instabilité à unir
ciel et terre. Parfois on s’étiole,
on ne sait plus si c’est soi
qui cimente la vue ou si on est
l’objet d’une jonction.
Est-on l’union ou la forme entière ?
N’en voulez pas à l’horizon.
N’est-il pas sans cesse
sous l’exercice de votre regard
à devoir répondre de sa définition ?

80.
Sombre.
Ce n’est pas violent.

Sombre
dans l’heure première.

Découvre
parmi les vestiges, ce qui
surgit avant tout discours.

D’abord
l’enfance, qui d’instinct
s’allie à la parole
et donne jambes à des aventures
au milieu du monde.

La promesse. L’évidence
d’une vie où l’on passe sous
l’arche de l’horizon.

Jusqu’à ce que les jours s’obscurcissent.
Que l’on accuse le temps
de n’être plus notre possession.

79.
La promesse. Elle se tenait là —à distance
de l’ombre, bien qu’enfouie dans son silence.
Un amas de feu, voici
ce que l’on devient à travers le temps.
Les routes nous portent —
de même se creusent.
Pourrait se briser l’essentiel : le corps
(la colonne vertébrale comme principal soupçon).
La terre lèche les pieds, le ciel cogne
contre la tête solitaire.
La promesse résiste. Durcit
le peu des os restants.
Pactise en secret avec la nuit.

78.
C’était la promesse — une clef
à même d’ouvrir l’horizon, d’ouvrir
la forêt lugubre, les chambres
gonflées de tristesse, l’autoritaire
cerveau qui cochait les blessures.

Elle n’ouvrait rien, malgré les jours
étouffés par la colère,
les chemin qu’on délaisse, les corps
repoussés hors du sien.

C’était la promesse. Elle s’écrivait
dans la pénombre bien que chacun
pût l’imaginer morte depuis longtemps,
n’ayant laissé que ce visage de tombe.

77.
L’horizon dément. Il défait tout regard
jusqu’au vertige, peu enclin à s’abandonner
aux mastications d’un lyrisme savant.
Si l’ouvrir comme un paradis donne
souffle un instant, il clôt l’espoir —
rayonne ailleurs en tournant le dos.
Aucune table de lois pour le contraindre.
Aucune image qui ne survive à ses nuits.
La foudre est loin de ses soubresauts,
même si parfois elle l’atteint
en abattant un arbre inconnu à ses pieds.

76.
La promesse, te dis-je. Tu t’obstines
à plier l’échine, aimes te réfugier
dans le brasier d’une vie flétrie
sans parvenir hélas à t’y brûler.
Pauvre querelle. Tu tiens tout entier
dans tes refus, leur donne un langage
si étroit qu’aucune image ne peut s’y déployer.
Et le chemin se tait et le jour
se referme. Et la lumière n’est plus
une preuve. Et la promesse devient le passé.

75.
Elles sont miennes, ces heures, à voir mon visage
dans la pierre, mes vérités dans un sol asséché.
Je verserais le feu dans l’eau, si tu savais.
Quant à l’horizon, j’en découperais volontiers
des parts — manque le couteau assez large,
une hauteur de ton égale au gigantisme du corps.
Ces heures me prononcent, rient
du bégaiement d’une minute, fracassent la main
prête à commettre ces meurtres qui
soupirent dans chaque seconde.

74.
Et puis il y a les corps, non pas les corps
à distance, encore moins les corps indistincts
mais les corps qui pèsent les uns
contre les autres, non par violence,
plutôt par l’allègre gravité de se lier, de s’éprouver
dans la sueur, ce qui perle à la surface
par l’acidité des étreintes — avec la couverture
de l’horizon quand il est l’heure
de se vêtir de ses seuls songes.

73.
La ligne de l’horizon — vous la saviez courbe, voyez
comment elle se change lentement en couronne
au rythme de l’étreinte, comment les corps
se déplient, ouvrent dans leur conjugaison
un vocable qui ferait presque parler
la nature à leur place. Dans la syntaxe lumineuse
de leur entrelacement, les éléments comme
la massivité de l’art et du sol se pénètrent
et créent l’image que vous tenez maintenant
entre les mains.

72.
Horizons nôtres. J’engage ma chair dans la tienne
— cela et dans le même mouvement ce qui
pense en moi et s’articule en gestes et rires,
paroles et bonds — tout ce que se prononce
et bouscule, s’offre et te répond — dessous le ciel
nous voici couchés brisant la droiture
de toute bienséance, ramenant l’argile du monde
contre nous, rétablissant les ruines en
cimentant les toits à force de salive.

71.
C’est assez simple d’être pendu à ta langue
et qu’en retour tu le sois à la mienne.
Ça ne s’apprend pas — la brûlure
le souffle à l’oreille, l’étreinte
s’abandonne à sa propre électricité.
C’est assez simple de croiser ton corps
au mien, de me dire multiple en m’ajoutant
à tes épreuves, de me lier à ta voix
comme d’oublier le jour.

70.
J’ai la main tendue — même brisée
elle reçoit, on peut en mordre les phalanges,
trouver un peu de paix en la dévorant.
Certains la prennent telle qu’elle est — nue,
d’autres lui enseignent de rejoindre sa voisine
dans la grande prière commune contemporaine.
Elle rit d’être vulnérable
et s’accomplit dans l’excès.
Je ne suis pas sûr qu’elle m’appartienne.
Ni le reste d’ailleurs.

69.
Nous y sommes chaque jour (à moins
que la prison soit plus qu’une image,
la vue quotidienne de murs
n’offrant aucun horizon). Dire l’horizon,
c’est penser d’un même élan la vue obturée
par des perspectives détruites, le corps
jeté dans des ouvertures — et au beau milieu
l’esprit, sinon la cervelle, qui évalue pertes & profits
(ce qui ressemble le plus au désir de vivre).

68.
« L’homme fait un lit de ses naufrages. »
La phrase venue en rêve fait le tour de la chambre.
Comment savoir si ses habits sont neufs
ou si mendiante elle fera la gloire de ce jour
même sans aucun banquet ?
Peu importe. Il faut composer avec
la maigreur de nos héritages. L’échec
est si florissant en ses heures miennes
que je lui prête les plus beaux lendemains.

67.
Nous y sommes, dans l’altérité et son sacre,
avec des visages ne ressemblant qu’à eux-mêmes.
Nous y sommes dans la condamnation
de quiconque l’éloigne.
L’horizon s’est peuplé de tours d’observation.
Au-dessus des exactions, la surveillance
étend son regard — ô milliers de kilomètres !
Peut-être signale-t-on le poème avant même
que la main ait fini de l’écrire.

66.
Je descends vers l’horizon,
flanqué de ma maigreur,
la bouche ouverte à la stupéfaction.
Je ne demande qu’à remplir
ma faim de l’abondance d’une terre —
non celle des évidences, plutôt
une terre accrochée au bien du ciel
— sans joindre les mains pour autant.
Je descends les jambes creuses,
thorax et vie évidés.
À la vue des tombes,
fais un pas de côté.

65.
Le dernier jour, ce n’est pas
une barque noire qui sépare en deux
le brouillard — plutôt une machine
dont le bruit s’éteint, et en elle
des rouages, une fine mécanique
assemblée depuis des millions d’années
qui ne servit qu’à un seul.
Je le sais par le repos des corps
dans des chambres froides, toutes ces larmes
qui ne les raniment pas.

64.
Je m’effacerais moi-même
si aucune vague n’y pourvoit.
Je m’ensevelirais moi-même
si les montagnes se retirent.
Je m’annulerais moi-même
si le cosmos ne le désire pas.
Pour l’heure, je me dessine
dans le jour plein, gravis
la pente sans maudire, multiplie
les paroles face à l’oubli, relie
d’un trait point à point ma vie.

63.
L’horizon a des ressemblances
avec certains principes démocratiques.
On demande à tous de le voir
mais nul ne doit en révéler le chaos.
Qui oserait dire de cette ligne de partage
la roue redoutable, qui détruit
à moitié certains et brise la vue des autres ?
La chose n’est pas aimable mais oblige.
L’obéissance nous aligne tous
comme des lits d’hôpital.

62.
Vertu du grand froid et
des perspectives défaites. Je marche
et la glace ne dicte rien, elle s’écroule
sous mes pas. Le temps n’est
ni doux ni hostile, ce qui serre le cœur est
dans ces jours continus
de trop connaître un horizon
étranger à soi. À quoi bon
rejoindre ce qui se brise, et chaque fois
me tait ?

61.
Une lumière verte — la vie s’y dirige.
Une apparence de jour se déploie
dans des lueurs où la nature
semble tenir droit. Ce n’est pas la forêt
ni de vertes vallées revenues,
plutôt la douce extinction des heures
et pour tout dire le regret
de se savoir entier dans un monde
qui s’obscurcit. Faut-il que j’invente
pour espérer encore ?

60.
Ce n’est pas une rive, perdre ainsi
son corps au bord des horizons. Rien
ne s’atteint. Ta grande satisfaction
est de renouveler un effort (prétention
serait plus juste), t’imaginer
miraculé entre terre et ciel, alors qu’au lointain
ne surgit qu’un refus, ces mots
éconduits, ce rêve grossier de vouloir
résoudre l’équation de ta douleur.

59.
Nous connaissons chaque jour notre mal :
nous nous résorbons, moins de lointain
moins de vision, ce corps perçoit
dans chaque membre la perte
de ses extensions, moins de perspective
moins de bond, nous cognons
en nous-mêmes, quelque chose se referme.
La grande allée qui s’ouvrait devant le cœur
est devenue l’impasse qui porte désormais notre nom.

58.
Je ne pleure pas — ce sourire le prouve.
J’agite une joie fébrile à qui veut bien.
Je peux plier ce corps, rouler enfantin
sur le bitume. Toute tristesse, j’en jette
les os brisés.
Seulement le vent est froid cette année.
Quelques pertes lacrymales au matin
font de chacun
un être où il ne se reconnaît pas.

57.
Le regard entre les deux doigts
de ce bras tendu — là se tient
l’horizon. Un écrasement le menace
chaque seconde, invite au pur fantasme
d’être maître des perspectives.

Inversez la tendance : l’horizon
là-bas ne vous voit pas, il s’ignore
maître de la situation tant l’infime
disparaît sous chacun de ses pas.

56.
Donnez la pièce — et je fais disparaître
l’horizon. Promettre, c’est là
où pend le mieux la langue.
Alors donnez la pièce et je disparais avec.
N’être plus est plus à l’endroit des mots
que le contraire. Donnez — ne rien prendre
est l’espace même
où nous finirons tous par ne plus arriver.

55.
Tchac tchac
le son du fouet
Tic toc
l’horloge bientôt enrayée
Grrr grrr
cri premier et cri dernier
Prii prii
l’idiot et son miroir tendu
Sphlic Sphloc
le corps va tomber
Crac crac
le cœur a cédé
Chlup chlup
ayé ! je n’existe plus
Prii prii
fait l’oiseau au-dessus des tombes

54.
Nous tentons. La parole
est un pas recommencé.
Nous tentons la parole
— le beau rôle. Ah jouer
avec ce jeu d’images —
le disperser — le perdre
pour le bien d’autrui.
Qu’il se souvienne
que nous fûmes incomplets
à son image. Avec l’horizon
en feu et la mémoire
pour s’y brûler.

53.
Je te montre. Règle ton œil
sur le mien — fais un lit
de tes naufrages et lâche
la dernière certitude, qui
te faisait croire en tes paroles.
Ce n’est pas une question de corps,
plutôt un effondrement bienvenu
où le lointain
s’aligne sur tes heures.
En chutant, tu retrouves la vue.

52.
Comment se résoudre ? Un regard
et me voici étendu le long de l’horizon
— ni géant ni témoin d’infortune, plutôt
mon corps dans l’ombre de l’étendue,
le vide pour demeure et le vent
pour déchiffrer mes propres inscriptions.
Comment se résoudre quand
la fin n’est pas encore venue ?

51.
Horizons, menés chacun à son terme
malgré les mots qui demandent
encore réparation et bégaient leur inquiétude.
Éconduire est la loi commune,
menée d’une main dure.
Se terminent sur le même mot d’exit
la vie donnée, le nombre de pas comptés,
ces inspirations et expirations d’une durée limitée.

50.
Cette bande de ciel-terre
multipliée en phrases, découpée en poèmes,
fait face, surgit derrière soi, ironise
à l’angle de nos volontés. C’est un crâne
somme toute, fût-il de couleurs, de matières,
d’immensité. Oui — et d’une telle vanité
que la parole déserte parfois nos bouches.

49.
Enfant, je tenais ma chambre
pour l’envers de l’absolu.
L’espace me revêtait de ses prudences,
dehors était de fait l’infini.
Une vie repue d’ignorance donnait l’heure.
C’est bien plus tard que l’horizon
par l’errance illimitée du corps
prononça mon nom.

48.
Des horizons. Ils trouvent refuge
en nous, subissent des distorsions,
se plient à des volontés, résistent
à nos solitudes et disent
une inflexibilité à même de nous libérer.
Certains n’ont jamais vu le jour,
ils sont là, derrière nos pensées
comme l’ombre projetée devant les corps.

47.
Des horizons — les dire tantôt
inachevés, blessés par des cieux
de travers, tantôt si pleins
qu’ils absorbent les couleurs
et semblent s’abstraire à n’en rejeter aucune.
Horizons villes, horizons des longues marches,
auprès des chambres, du vide,
horizons fleurissant dessous la terre —
horizons insoupçonnés.

46.
Dire des horizons — courber notre raideur
selon leurs lignes d’ensoleillement,
gravir l’indifférence de leurs flancs
et pourquoi pas planter drapeau
pour que l’un d’entre eux se souvienne
par ce geste flamboyant de nos vies
nombreuses, nos vies éparses, trompeuses,
si rarement réconciliées.

45.
Auprès des horizons, chacun poursuit
l’effort de vivre, entre la chambre
qui annule le dehors, et le dehors
qui aspire jusqu’à la lucidité.
Sur ce fil âpre nous marchons,
le cœur perclus de prétention.
L’âme toujours, même maladivement,
à nous se rappelle.

44.
Sur le fil des horizons — l’humaine marche.
Trébucher se fait dans les creux du cœur.
Les mains s’abîment selon les vérités du sol.
J’aime ta chute, comment tu la relies à mon regard.
J’aime gravir la mort à tes côtés.

43.
As-tu le désir d’être tellement
au cœur des choses que tu pourrais
être de toutes parts dépeuplé ?
Es-tu assez vide pour contenir
les soubresauts du jour ?
Veux-tu être le point d’imitation
d’une ligne entre terre et ciel ?

42.
Parmi la clarté des lignes,
on oublie la clarté du soleil.

Sa haute lucidité
et son extension.

On oublie les horizons auprès
de la vision première des corps.

On oublie la lumière dans la couleur
et toujours le soleil dans le passé.

41.
Les foules sous contrôle,
les excès sous autorisation,
les échappées sous surveillance,
et bien évidemment
ces horizons à ne pas voir
sans prise de rendez-vous préalable :
ô ces vies dans lesquelles
personne ne se reconnaît
et auxquelles chacun s’habitue.

40.
Les voici — gigantesques.
Ils surgissent, dévastent.

À leur vision, tu peux me toucher,
dévier leur violence.

Je ne crois pas que ce geste si infime
puisse avoir quelque conséquence.

Au moins sens-tu sur nos corps
un soupçon s’éloigner.

39.
Ce pourrait être le paradis, non ?
Après tout le haut engendre
la terre, et la terre
en silence répond.

Un paradis ton sur ton,
hors des mots.

Avec des matières tant et tant
que le vocabulaire s’y complaît.

38.
Nous aimons cela,
mêler les mains,
lutte ou repos,
asservissement ou soutien.

Avec la brûlure,
la séparation.

Avec des mains soudainement
apposées pour guérir.

Oui, nous aimons cela,
ces venues, ce retrait,
ces retours — enfin
d’amères déflagrations.

37.
La longue marche,
l’ombre de l’arbre,
la raison qui s’étend,
l’étendue
où les corps s’effondrent.

Le lent retour,
la sueur attendrie,
le divan profond
— le temps passé
à cesser de savoir pourquoi.

36.
Les corps ne s’évanouissent pas.
Au-delà des morts certaines,
des recensions
et l’éloge de quelques-uns,
au-delà des os, se poursuit
un mouvement, une ligne accorte
qui refuse de dire son nom.

35.
Je survis si tu survis en moi.
Ainsi la belle ronde.
Que chacun s’y confonde.
À votre tour de poursuivre.
Prendre voix dans une autre.
Pourquoi pas corps
dans la courbe de l’horizon.

34.
Se résoudre à tout, n’être rien
pour vivre de peu — inverse
l’équation : le vide parlera,
l’horizon sera dans ta bouche
autant que sous tes pas
— et ce jusqu’au dernier râle.

33.
La route éclaire de ses lueurs
des vies ô combien exemplaires.

Pareilles ces ombres qui précèdent
et le soleil derrière l’horizon.

Pourquoi suivre une route
quand la nuit n’en finit pas ?

32.
Vers où la route ?

Chaque jour fait recommencer.
Chaque jour est l’heure d’en finir.

Avancer pour le bien commun
fut l’ordre originel.

Nous n’aurons croisé que des ruines.

31.
Le feu — la ville.
Le temps — les larmes.

Peu importe le poids,
la balance penche
du côté de l’inévitable.

Le corps rétablit le déséquilibre.
L’absence surgit au beau milieu.

30.
Des horizons. Par lesquels
la parole nous recoud au jour.
Des horizons. Par lesquels
nous passons pour recoudre
nos corps. Des horizons
par lesquels l’espace
devient chaque jour réparation.

29.
Le fer engendre le fer.

Tu auras raison de toi-même
à trop regarder
la destruction à l’œuvre.

Voir ailleurs a sa nudité.

Mourir n’est pas prouver.

28.
Des marches — aucun sommet.

Reste le goût de l’ascension
et des horizons.

La forme devinée de leurs visages.

Une main se tend.

Un regard surgit sans raison.

27.
Ces horizons
accolés les uns aux autres :
prête ta voix à leur alignement.
Souviens t’en
quand ils se rompent
à la grande joie de l’obscurité.

26.
Horizons droit devant.

Dressés comme de coutume.

Balisant la verticalité
sans en croiser la céleste impulsion.

Plutôt pulsations dans l’heure sombre.

Et questions en suspens.

25.
Les horizons ne terminent rien.

Nous les aimons ainsi —
intangibles, oubliés.

L’un de feu, l’autre pur béton,
déchirent la mort au bon endroit.

24.
À brèves lueurs, horizons proches.
À horizons rompus, appui du cœur.
À horizons corrompus, corps en sursis.
Aux cœurs tristes, horizons toujours en vue —

23.
L’étendue est un livre.
Le doigt en suit les lignes.
Entre terre et ciel, le vide
délivre des couleurs —
ces images suspendues.

22.
Les horizons nous fixent.

À travers nos yeux
découvrent combien les voir
est affaire de parole.

Et tout obstacle l’appui premier.

21.
On se courbe pour ramasser.

Soudain le ciel devient
l’ouvrage des mains.

La terre
une matière trop lointaine pour parler.

20.
Les ombres, seule trace.

Pas d’autre mémoire
que le fugace,
de vérité qu’oubliée.

Disparaître est de notre volonté.

19.
Le poème s’éteint.

Joue plutôt avec la nuit.

Comme l’enfant fauve
autrefois,
quand l’ennui se taisait.

18.
Tchac tchac
Tic toc
Grrr grrr
Prii prii
Toc toc
Schplic schploc
Crac crac
Chulp chulp
Prii prii

17.
La vie jetée ici-bas.
Nous jetés dedans.
Mêlée.
Vivre la vie donnée.
Laisser la vie vécue.

16.
Des horizons.

Lignes descendues à terre.

Courbes soutenant le ciel.

Matières & vides.

Quotidienne frontalité.

15.
Dire des horizons.

Heure commune.
Tempête en soi.

Le verbe épuise le souffle
— s’évanouit.

14.
À notre image,
les horizons se dissolvent.

De qui ont-ils appris
pareille acidité ?

13.
De tous côtés, des horizons multiples.

Qui d’autre en connaît la profusion ?

12.
Des horizons
en nombre.

Le fatras
de nos solitudes.

Et ces étreintes.

11.
Le vent a embrassé
les images.

Vivre n’a pas tenu.

10.
Redevenir l’objet de rien :
chaque horizon y prétend.

9.
l’horizon est un fruit
(en savourer l’amertume)

8.
dire l’horizon —
les yeux
gorgés de lueurs

7.
des horizons

les ouvrir

se multiplier dedans

6.
une immensité pour chacun

ici-bas

5.
nos paroles égalent leur nombre

4.
chaque seconde droit devant

3.
horizons incessamment insaisissables

2.
horizons nôtres

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horizons

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