EDITO JACQUES VINCEY 2017-2018

Le monde change. L’idée n’est pas neuve mais depuis la révolution numérique, elle a pris une autre réalité. Tout va plus vite, très vite. Trop vite ? Le temps et l’espace se sont contractés tandis que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Nous sommes tiraillés entre espoir et inquiétude, confiance et prudence. Descartes vantait les idées claires et distinctes, et nos esprits ne sont pas formés pour affronter des schémas antagonistes et les embrasser simulta­nément. La complexité effraie. Nous sommes beaucoup plus rassurés par le ou que par le et : blanc ou noir, bon ou mauvais, français ou étranger etc. La binarité, poussée par des vagues de simplisme et de populisme, fait recette. Pourtant, chacun sait, qu’au fond, « ce n’est pas si simple » : blanc et noir font de très belles nuances de gris, le bon et le mauvais sont le sel de la vie, français et étranger composent les harmoniques de nos identités. Nous voudrions d’une réalité qui obéisse à la logique, alors que la réalité ne nous obéit pas. Pas plus que les rêves, qui ouvrent la porte à nos désirs les plus fous, à nos fantasmes les plus inavouables.

Qui pourrait cependant prétendre aujourd’hui que cette face cachée ne nous constitue pas fondamentalement et n’influe pas inexorablement sur notre vie quotidienne ? Les rêves sont notre réalité fantôme, la part la plus obscure de nous-mêmes mais aussi la plus lumineuse. Ils sont la petite voix qui nous souffle intérieurement ce que nous pourrions être ou devenir. Ils ne sont pas toujours audibles, ni compréhensibles. Pourtant, il nous faut les entendre si nous voulons élargir notre existence bridée par les injonctions de la raison et du sens commun.

Dans le silence des théâtres, des artistes suspendent le temps pour partager leurs visions avec une communauté d’individus réunis par l’espoir secret de découvrir ce qu’ils n’avaient encore jamais vu, entendu, ressenti. Sur scène, les acteurs chuchotent, susurrent et parfois hurlent ou vocifèrent. Rêves et cauchemars coexistent pour dépasser le juste ou l’injuste, le moral ou l’immoral afin d’accepter le mystère de l’existence et ses promesses d’une vie plus large, plus riche, plus féconde…

Nous fêtons cette année les 70 ans de la décentralisation théâtrale. Et dès le début de cette nouvelle saison, le Théâtre Olympia rejoindra le réseau des centres dramatiques nationaux. Deux bonnes raisons de réaffirmer qu’à l’heure où les lignes et les repères se déplacent sans cesse, il faut être ouvert aux mutations positives tout en restant vigilant aux fondamentaux. Ce qui a été mis en place par André Malraux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a permis à notre pays de devenir et demeurer un phare dans le paysage artistique mondial. Une volonté politique forte a permis à tous les citoyens un accès à la culture comme service public, c’est-à-dire d’accéder à l’Art comme nécessité vitale à l’épanouissement et au mieux-être.

Depuis des dizaines d’années, des femmes et des hommes se battent pour concrétiser cette belle idée. Les chemins pour y arriver sont sans cesse à réinventer. Les moyens pour y parvenir sont parfois menacés. Jour après jour, l’équipe du Théâtre Olympia donne le meilleur d’elle-même pour être à la hauteur de la mission qui lui est confiée. Elle poursuit obstinément le rêve d’un art qui nourrit nos existences individuelles et collectives.

Rêver ce n’est pas fuir le réel, mais l’embrasser dans toute sa complexité.

 

Jacques Vincey