La vie du T°

PAROLES DE SPECTATEURS #2

Nous souhaitons donner la parole aux spectateurs. 
Nous leur avons demandé de nous raconter leur amour du théâtre, leur première fois, leurs souvenirs, leurs émotions…

comment je suis venu au théâtre, ou le journal d’un comédien amateur par Philippe Carré

Mon rapport au théâtre ? Quand je regarde en arrière, et la période actuelle y est propice, mon premier souvenir d’être monté sur les planches date d’il y a plus de 65 ans, quand petit enfant  j’avais participé à un stage d’animation pendant des vacances à La Bourboule ; il en reste une vieille photo noir et blanc où j’apparais sur scène en culotte bouffante ! 

D’où est venu mon goût de « monter sur scène » ? Petit à petit depuis mon enfance, porté par les étapes de la vie, et peut-être par une quête enfouie quelque part. 

A l’âge de 10 ans, je suis parti en pension et j’ai très vite participé à l’atelier théâtre du collège de garçons (aujourd’hui il est mixte) où j’étais scolarisé, et mon vrai premier rôle à l’âge de 12-13 ans a été celui d’Armande dans Les Femmes Savantes ! J’ai continué à participer à « l’équipe théâtre » jusqu’en terminale en 1968, où l’on avait monté une version de l’ Antigone de Sophocle. 

Puis le cursus universitaire m’a éloigné du jeu pendant de longues années. Au cours de mes études à Paris, j’allais traîner de temps à autre comme spectateur dans les petites salles du Quartier Latin. Arrivé à Tours au début des années 80, j’ai été accaparé par mon activité professionnelle, mais l’image des planches continuait à me tarauder ; j’ai cherché un atelier de théâtre, et ce fût finalement au Barroco à Saint-Pierre des Corps que je remis le pied à l’étrier, sous la conduite d’Hubert Chevalier, avant d’intégrer quelques années après la troupe amateur des « Amis de Coucou La Fourmi », créée par Michel-Jean Robin dont j’ai tant appris, et qui nous a quittés au début de cette année. J’en fais toujours partie. 

J’ai aussi participé au fil du temps à d’autres projets, sous la conduite notamment de Pierre Trinson, ou de Jean-Marie Lardeau. Avec Pierre Trinson, nous avons joué la pièce qu’il avait écrite et créée sur La Commune de Paris (Le Communard, la Pétroleuse et le Versaillais) dans différentes salles, et notamment au Carré Davidson dans le vieux Tours, et j’étais avec émotion sur la scène de cette salle mythique pour la dernière représentation théâtrale qui y a eu lieu en 1987 avant sa fermeture!

Avec les « Amis de Coucou La Fourmi », j’ai travaillé sous la houlette de metteurs en scène confirmés : Michel-Jean Robin bien sûr, Dominique Babouin, Abel Pires, Pierrick Bonneau, et avec des comédien(ne)s talentueux(ses) ; certains,  comme Pierre Créchet, avaient été formés ou étaient proches de Jean-Laurent Cochet, ce maître qui vient aussi de nous quitter il y a quelques jours. J’ai eu la chance de jouer avec la troupe, en tant que comédien amateur, de nombreuses pièces au cours de toutes ces années : Monsieur Lovestar et son voisin de palier et Les Nonnes d’Eduardo Manet, Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès, Antigone d’ Anouilh, Des manteaux avec personne dedans de Jean-Pierre Cannet, Tue-le ! de Ludovic Janvier , Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor, Zoo Story d’Edward Albee, Le bourreau et d’autres écrits de René de Obaldia, Le neveu de Rameau de Denis Diderot (la dernière mise en scène de M-J Robin). Et en co-production avec la compagnie Bois Ton Thé en 2019 : Comédie sur un quai de gare de Samuel  Benchetrit, et  Soutine, Champigny-sur-Veude, 1943, une création de Catherine Gomez-Crouvizier. Du théâtre exigeant donc, d’auteurs souvent contemporains. M-J Robin, qui avait longtemps joué en tant que comédien professionnel, aimait à dire : « il n’y a pas de théâtre professionnel, il n’y a pas de théâtre amateur, il y a théâtre ou pas ».

Et le Centre dramatique national de Tours ? J’ai bien sûr côtoyé très vite « l’Olympia », dont je suis adhérent depuis de longues années. J’y ai vu de magnifiques spectacles, d’autres qui m’ont moins touché, j’y ai rencontré des gens très attachants, et j’ai souvent répondu présent aux propositions destinées aux adhérents : ainsi j’ai participé aux « rencontres du mardi », à « l’atelier écriture » de Léa Toto, à plusieurs stages de jeu théâtral avec des metteur(e)s en scène, dont un week-end avec Laurent Gutmann et une semaine inoubliable avec Caroline Guiela Nguyen ; et quand Karin Romer a proposé des rôles de figurants sur le plateau à Tours, je n’ai pas hésité : avec d’autres, j’ai gardé des souvenirs très forts de ma participation sur scène à Vader du collectif Peeping Tom, et à Ça ira (1). Fin de Louis de Joël Pommerat, spectacle auquel  j’ai eu la chance de participer à nouveau à l’été 2019 au théâtre de La Porte Saint-Martin à Paris.

Je vais régulièrement assister à des pièces montées et/ou jouées par des ami(e)s comédien(ne)s dans la région, tant la production des troupes est riche en Touraine. J’assiste de temps à autre à des spectacles à Paris, je lis beaucoup de textes ou de livres sur le théâtre, et depuis ma retraite je n’ai raté aucun festival d’Avignon, où je baigne avec volupté dans la frénésie de ces rencontres toujours pleines de surprises ; j’y croise avec plaisir Jacques Vincey, François Chaudier, Karin Romer, Léa Toto, Claire Tarou, et toutes celles et ceux qui font vire le CDNT ; ainsi que des comédiens amis qui se produisent là-bas, comme Claude Gallou ou Alain Leclerc.

Je me suis souvent demandé d’où me venait cette envie d’être sur scène… en dehors d’un narcissisme assumé ! De ce besoin de se glisser dans les passions ou les tourments d’un autre, de ressentir ces secondes vertigineuses qui précédent l’entrée en scène, de se mettre à nu devant des  spectateurs dont la bienveillance n’atténue pas le trac, de goûter ce bonheur et cette fatigue partagés avec mes frères et sœurs de planches ? Freud, au secours ! On peut aussi écouter Laurent Terzieff : « Ce que nous attendons tous du théâtre, c’est la révélation de cet autre qui gît au plus profond de nous-mêmes, plus nous-mêmes que nous-mêmes, et cependant inconnu».

Philippe Carré

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